Tony Estanguet et Anne Hidalgo, maire de Paris, le 10 septembre 2017, à Lima (Pérou) avant l’attribution des Jeux 2024 à la capitale française. / MARTIN BERNETTI / AFP

« Une magnifique nouvelle pour le rugby, le sport et pour la France. » Le 15 novembre, Emmanuel Macron s’est félicité de la désignation de la France pour accueillir la Coupe du monde de rugby en 2023. Un nouveau succès pour le sport français après l’obtention des Jeux olympiques de 2024 – dont s’était déjà réjoui le président de la République –, l’organisation de la Coupe du monde féminine de football en 2019 et le retour d’un Grand Prix de formule 1 en 2018, sur le circuit du Castellet (Var).

La France se débarrasse progressivement de l’image d’un candidat capable de présenter de solides dossiers techniques, mais souffrant, ici, d’un manque d’appui politique, là, d’une pleine participation du mouvement sportif. Traumatisés par les échecs à répétition pour l’obtention des Jeux olympiques (Paris 2012, Annecy 2018), les mondes politique et sportif ont réfléchi en 2013 à la manière de replacer la France au centre d’un jeu qui, s’il est bien mené, offre des perspectives économiques et une arme supplémentaire dans l’arsenal diplomatique.

Un poste d’ambassadeur pour le sport et un Comité français pour le sport international sont alors créés. Dans chaque ambassade, un « référent sport », chargé d’effectuer des veilles sur les manifestations locales dans le domaine, est nommé. « Une vraie révolution au Quai d’Orsay », selon Valérie Fourneyron, qui participe alors à la réflexion en tant que ministre des sports (2012-2014).

Le sport, arme de rayonnement

C’est sous l’impulsion des puissances émergentes, au début des années 2000, que le sport a retrouvé son attrait diplomatique. « La Chine a été la première à faire du sport un moyen d’expression de sa puissance et une arme de rayonnement, explique Carole Gomez, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). L’Afrique du Sud, le Brésil et la Russie lui ont ensuite emboîté le pas. »

Les chancelleries ont alors progressivement saisi l’intérêt de mobiliser le sport comme un levier d’influence à part entière. « Un pays existe non seulement par son pouvoir politique, militaire ou économique, mais aussi par son influence dans le monde sportif, estime Valérie Fourneyron. Le sport est un révélateur de la marche du monde. Il permet aux Etats de se mettre en scène. »

Pour Philippe Vinogradoff, actuel ambassadeur pour le sport sous la tutelle du Quai d’Orsay, « la diplomatie sportive française a une double fonction : mettre le réseau diplomatique à la disposition des candidatures françaises à l’organisation de grands événements, et promouvoir l’image du pays, de ses territoires et du savoir-faire de ses entreprises ». Prudent au moment d’évoquer le rôle joué par les réseaux diplomatiques lors de l’attribution des compétitions – le CIO interdit toute promotion directe par d’autres acteurs que la ville d’accueil –, M. Vinogradoff évoque simplement un « appui à la promotion, utile et efficace, pour l’obtention de Paris 2024 et la Coupe du monde de rugby 2023 ».

La redéfinition de la politique sportive française semble progressivement porter ses fruits. Football, handball, rugby, canoë, cyclisme sur piste, JO : depuis 2015, le pays accueille les principales compétitions internationales.

La fin du « French bashing »

Mais la France ne compte pas seulement sur l’organisation des grands événements. Une politique de formation et de soutien de jeunes dirigeants à la tête des grandes fédérations a été engagée. « La diplomatie sportive ne peut se résumer à l’accueil des grands événements, explique Carole Gomez. Il faut former les dirigeants capables d’imaginer le sport de demain et les placer à la tête des institutions. » « Nous avons établi une vraie stratégie de conquête pour que des Français n’hésitent plus à postuler à des fonctions internationales, confirme Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Près d’une trentaine de personnes ont été formées pour conquérir des postes clés. Il n’y a pas de mystère : pour être influent, il faut être en situation de responsabilité. »

Pour assurer la présence de ses représentants dans les institutions les plus puissantes, la France s’est déjà permis quelques concessions à « l’esprit sportif ». Membre du Comité international olympique (CIO) depuis 1996, le champion olympique du 110 m haies 1976 et ancien ministre, Guy Drut, a été condamné à quinze mois d’emprisonnement avec sursis pour emploi fictif, en octobre 2005.

Suspendu du CIO, l’ex-athlète n’avait réintégré l’instance qu’après l’amnistie accordée par Jacques Chirac, en juin 2006. « Cette mesure pourra lui permettre de reprendre sa place au sein de cet organisme afin d’y poursuivre son action dans l’intérêt du sport olympique et de la France », justifiait alors le ministre de la justice, Pascal Clément. Le geste d’un « prince d’une république bananière », pour Noël Mamère, député (Les Verts) à l’époque.

Tony Estanguet, vice-président de la commission des athlètes du CIO, et Jean-Christophe Rolland, président de la fédération internationale d’aviron, ont, depuis, rejoint Guy Drut au sein de l’instance. Le premier, figure de la candidature Paris 2024, doit prochainement prendre la présidence du comité d’organisation de l’événement.

« Il y a un grand ménage à faire »

Président de l’Union cycliste internationale depuis septembre 2017, David Lappartient est devenu, avec M. Rolland pour l’aviron, l’un des deux présidents français d’une fédération olympique. Soumis au devoir de neutralité inhérent à sa fonction, celui qui est aussi maire (Les Républicains) de Sarzeau, dans le Morbihan, ne cache pas l’influence diplomatique dont jouissent les dirigeants des instances internationales : « Mon passeport reste français : en accédant à ce poste, je deviens un outil au service de notre diplomatie. Sans avoir à prendre parti politiquement ni se rendre coupable de conflit d’intérêts, je peux faire passer des messages [de personnalités françaises] lorsque je rencontre des dirigeants étrangers, des chefs d’Etats. »

Si le Breton reconnaît que ses compatriotes ont longtemps souffert du « French bashing » et d’une « réputation de donneurs de leçon », David Lappartient se réjouit de voir la France devenir, selon lui, une « synthèse, une passerelle entre les mondes anglo-saxon, asiatique, russe et arabe ».

Après les soupçons de corruption émaillant la désignation de grandes compétitions (Rio 2016, Tokyo 2020, Coupe du monde de football 2014, au Brésil, et 2022, au Qatar), les dernières campagnes semblent privilégier des pays « traditionnels » du paysage sportif, disposant déjà d’infrastructures modernes et d’une assise financière réputée pérenne. Une reconfiguration bienvenue pour la France, dont les dossiers vantent maîtrise budgétaire et absence d’« éléphants blancs » – bâtiments construits pour les JO puis tombés depuis en décrépitude, comme à Athènes ou Rio.

« Il y a un grand ménage à faire après les scandales à répétition, préconise Valérie Fourneyron. Les dernières désignations privilégient des acteurs qui ne font pas du sport le seul levier de leur influence dans le monde [Paris 2024, Los Angeles 2028]. On revient à la raison. » Avec un budget prévisionnel de 6,6 milliards d’euros, Paris 2024 tentera de faire mentir la « malédiction du vainqueur » et l’explosion des dépenses constatée lors des derniers JO.