Morgan Marquis-Boire en 2013. / Wikipedia / Tobias Klenze / CC-BY-SA 4.0

L’un est un hackeur réputé d’une trentaine d’années, connu pour son engagement en faveur des droits humains. L’autre est une figure de ce milieu, un septuagénaire déjà célèbre dans les années 1970, quand il officiait aux côtés de Steve Jobs et Steve Wozniak, les futurs fondateurs d’Apple. Morgan Marquis-Boire et John Draper font l’objet depuis quelques jours d’accusations multiples à leur encontre, relevant du harcèlement sexuel, de l’agression sexuelle et du viol.

Dans une longue enquête publiée samedi 19 novembre, le site spécialisé The Verge a rassemblé six témoignages de femmes contre le Néo-Zélandais Morgan Marquis-Boire, qui vont dans le sens des rumeurs bruissant déjà depuis quelques mois dans ce milieu. Une ancienne compagne l’accuse de viol, alors qu’elle était initialement endormie – malgré son refus et ses protestations répétées, l’homme lui a imposé une sodomie, rapporte-t-elle. Cinq autres témoignages distincts évoquent des agressions similaires, aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande.

« J’étais saoul »

The Verge a obtenu des extraits de conversation, par tchat et par e-mail chiffré, avec une de ses accusatrices, dans lesquels il reconnaît l’avoir violée, ainsi que d’autres femmes, et demande pardon. « Alors que j’étais saoul, j’ai agressé sexuellement ou violé des femmes », admet-il. « Je ne peux pas te donner de nombre pour l’instant, mais ça va être pire que ce qui a pu être documenté jusqu’ici. »

L’affaire a commencé à émerger en septembre, quand le prestigieux Citizen Lab, un groupe canadien d’experts en sécurité informatique pour lequel il était conseiller, a annoncé sa démission. « On m’a informé d’une accusation d’agression sexuelle impliquant Morgan Marquis-Boire », écrivait alors Ronald Deibert, directeur du Citizen Lab. « Morgan Marquis-Boire m’a contacté pour démissionner peu avant que l’on me signale cette plainte. »

Ancien employé de Google, défenseur de la vie privée et des lanceurs d’alerte comme Edward Snowden, il participait régulièrement à des conférences sur les droits humains. Il était impliqué dans des ONG comme l’Electronic Frontier Fondation, qui milite pour les libertés numériques, la Freedom of the Press Foundation, consacrée à la liberté d’expression et de la presse, ou encore dans le site The Intercept, qui travaille notamment sur la surveillance de masse. Des organisations qu’il a quittées ces dernières semaines ; il a également annulé plusieurs participations à des conférences.

John Draper en 2008. / Aaron Getting / Public Domain

Des adolescents visés depuis les années 1970

Autre grande figure pointée du doigt ces derniers jours : John Draper, aussi connu sous le pseudonyme de Captain Crunch, notamment célèbre pour avoir imité les tonalités téléphoniques avec un sifflet dans les années 1960 afin de pouvoir téléphoner gratuitement.

C’est cette fois le site Buzzfeed qui a publié vendredi les témoignages de six hommes l’accusant d’attouchements sexuels. Selon eux, le hackeur a profité de son aura pour se rapprocher d’adolescents ou de jeunes hommes lors de conférences sur les nouvelles technologies, les incitant à le rejoindre dans sa chambre d’hôtel pour leur montrer des « exercices énergétiques ». Plusieurs témoignages rapportent que John Draper s’est positionné sur leur dos pour y frotter son sexe. Le journaliste du Wall Street Journal Ethan Smith rapporte une expérience similaire, alors qu’il tentait d’obtenir une interview.

Contacté par Buzzfeed, Steve Wozniak s’est de son côté rappelé d’une histoire ancienne et très proche concernant Steve Jobs : « Draper a demandé à Jobs, dans les années 1970, d’aider Draper à faire des exercices en s’asseyant sur son dos. Jobs a trouvé que ça sortait de l’ordinaire et que ce n’était pas son truc alors il a évité de le faire. Je ne peux pas faire de supposition sur ce dont il s’agissait. » Des bénévoles de la DEF Con, l’un des plus importants événements consacrés à la sécurité informatique, ont de leur côté informé Buzzfeed qu’ils veillaient à éviter que l’homme ne s’approche trop d’adolescents. Après la publication de l’article de Buzzfeed, le hackeur Matt Blaze a affirmé sur Twitter avoir été harcelé par John Draper dans les années 1970.

L’an dernier déjà, une affaire de viol et de harcèlement avait secoué la communauté de la sécurité informatique. Le spécialiste de la cryptographie Jacob Appelbaum, lui aussi hackeur influent, avait démissionné du projet TOR, qui édite le navigateur du même nom permettant de surfer anonymement sur Internet, après une série de témoignages anonymes l’accusant de harcèlement et de viol. Une enquête interne était par la suite venue appuyer ces accusations.