Le général Constantino Chiwenga était en Chine quarante-huit heures seulement avant le putsch. Le chef d’état-major zimbabwéen y a rencontré des militaires chinois, dont deux des plus hauts gradés du pays, et le ministre de la défense, Chang Wanquan.

« Une visite qui s’inscrit dans le cadre normal de nos échanges », justifie le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Geng Shuang. Mais cette visite interpelle. Le chef des putschistes serait-il venu chercher l’aval de la Chine, premier partenaire économique du Zimbabwe, avant de renverser Robert Mugabe ? Est-il venu plus simplement avertir Pékin de ses intentions ou plus directement prendre des ordres ?

Un rapport du ministère chinois de la défense indique que le général Li Zuocheng a évoqué des relations solides entre les deux pays. Le général est un très proche du président chinois Xi Jinping. Le général Chiwenga est également cité, évoquant « l’approfondissement de la coopération militaire ». Des échanges plutôt convenus si ce n’est qu’ils interviennent à la veille du coup d’état non assumé contre Robert Mugabe. Difficile ainsi d’imaginer que le cas du vice-président Emmerson Mnangagwa mis brutalement à l’écart au même moment n’a pas été abordé entre les militaires à Pékin. D’autant que la rumeur évoque même le bref exil en Chine d’Emmerson Mnangagwa avant son retour au pays la semaine dernière.

Investissements chinois considérables

Depuis les luttes anti-coloniales des années 1960, la Chine a toujours soutenu « le vieux lion ». Mais, depuis quelques mois, elle s’agace des excès du couple Mugabe et, surtout, s’inquiète pour ses investissements. Un effondrement brutal du régime pourrait sonner le départ forcé des Chinois considérés comme des soutiens actifs du parti ZANU-PF.

Pékin est en effet le premier partenaire économique et commercial de Harare. Un pays mis au ban des nations occidentales mais que Pékin courtise, notamment pour ses diamants et son tabac. Ces dernières années ont vu la Chine ou des entreprises d’Etat chinoises financer de nombreux projets, notamment le Collège de la défense nationale du Zimbabwe pour 100 millions de dollars (85 millions d’euros), le centre commercial Longcheng Plaza à Harare pour 200 millions de dollars ou encore, en 2016, le cofinancement à hauteur de 46 millions de dollars du nouveau Parlement de 650 sièges au nord de la capitale.

Des investissements chinois sont également prévus dans l’industrie. R & F a annoncé en début d’année vouloir investir 2 milliards de dollars pour reprendre Zisco, le plus grand producteur de fer et d’acier du Zimbabwe.

Une centaine d’entreprises chinoises est présente dans le pays. Les investissements chinois au Zimbabwe ont augmenté de 5 000 % depuis 2009, selon une étude du South African Institute of International Affairs (SAIIA).

Plus de la moitié des investissements étrangers au Zimbabwe sont ainsi chinois et représentaient, en 2015, 450 millions de dollars. Une manne pour ce pays exsangue économiquement, où 90 % de la population est au chômage.

En l’absence de commentaires du gouvernement, c’est toujours dans la presse officielle que l’on mesure les changements d’attitude. Le 16 novembre, dans le quotidien Global Times, porte-parole officieux du Parti communiste, le chercheur Wang Hongyi explique que la Chine s’inquiète pour l’avenir de ses investissements au Zimbabwe.

« La Chine a souffert de la gestion du président Mugabe et plusieurs projets ont dû fermer ou être déplacés dans d’autres pays causant des pertes importantes. La coopération bilatérale n’a pas atteint son plein potentiel sous le règne de Mugabe », écrit-il, avant d’expliquer qu’« un changement de gouvernement serait bénéfique » pour les deux pays.

Le « vieux lion » poussé vers la sortie

Sur le plan politique, l’équation est plus complexe. Les relations de la Chine avec le Zimbabwe, pays paria, sont souvent critiquées par les démocraties occidentales. C’est également le cas avec le Soudan. Mais Pékin a toujours fait front. En décembre 2015, le président chinois Xi Jinping s’est rendu au Zimbabwe, l’une des très rares visites officielles d’un chef d’Etat dans ce pays.

Ce fut un coup diplomatique pour Robert Mugabe, lauréat cette même année du prix Confucius de la paix, qui pouvait alors annoncer l’utilisation du yuan comme monnaie d’échange, une première en Afrique.

Alors, que s’est-il passé dans les bureaux feutrés du ministère de la défense ? La Chine a-t-elle tourné la page de sa politique traditionnelle de non-ingérence et poussée le « vieux lion » vers la sortie ?

Le vent a-t-il tourné ? « C’est évident, explique le diplomate britannique John Everard, sinologue et ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Corée du Nord. Pékin a sans doute joué le rôle que jouait la CIA dans les années 1970 en soutenant, voire en orchestrant ce coup d’Etat », assure-t-il.

Hasard ou non, l’ambassadeur de Chine au Zimbabwe était hors du pays au moment du putsch et l’on sait que le second qui assurait l’intérim est traditionnellement dans les ambassades chinoises le chef des services secrets. C’est lui qui était aux commandes au moment du putsch.

Un test pour Pékin

Si cela se confirme, ce serait donc un changement complet de la politique étrangère chinoise. Un changement que Pékin espère pacifique. Pour cela, il mise sur un retour d’Emmerson Mnangagwa, considéré comme très proche de la Chine, où il était parti dès 1963 pour y recevoir une formation militaire.

Une transition en douceur servirait en tout cas les intérêts de la Chine, car elle permettrait de garder une certaine continuité dans les affaires de l’Etat et rien ne préoccupe plus Pékin que la stabilité. Le gouvernement chinois a l’habitude de travailler avec Emmerson Mnangagwa et son entourage, et rien ne devraient donc remettre en cause les investissements et les relations politiques et militaires entre les deux pays. La démocratie n’est pas une option pour la Chine.

La transition en tout cas est suivie de très près par les diplomates et les militaires chinois qui espèrent profiter de ce changement à la tête de l’Etat pour asseoir encore un peu plus la position de la Chine en Afrique. C’est aussi un test sur sa capacité à accompagner les changements politiques sur le continent.

La famille Mugabe et Hongkong

Quand Robert Mugabe se rendait à Pékin, Grace, son épouse, préférait Hongkong. La ville est ses centres commerciaux géants, ses boutiques de luxe et sa villa à 5 millions de dollars perchée sur les hauteurs des Nouveaux Territoires, à Tai Po.

Mais l’origine des fonds et la propriété même de cette villa fait depuis trois ans l’objet d’une bataille judiciaire à Hongkong. Si Robert Mugabe affirme que la villa a été achetée en liquide par le gouvernement du Zimbabwe, le titre de propriété indique le nom de Hsieh Ping Sung. Aussi connu sous le nom de Jack Ping, ce milliardaire sud-africain d’origine taïwanaise a longtemps été très proche de la famille Mugabe. Il affirme avoir acheté la villa en 2008 pour la louer ensuite au gouvernement du Zimbabwe. Une armée d’avocats planche sur ce contentieux.

Bone Mugabe, la fille, a longtemps habité la propriété lorsqu’elle étudiait à l’université. Hongkong, havre de paix pour la famille Mugabe ? Pas vraiment. L’homme fort du Zimbabwe y laisse une longue ardoise. De son côté, le Consulat du Zimbabwe est convoqué au tribunal pour un retard de 70 000 euros dans le paiement de son loyer. Mais ce qui restera de cette relation avec Hongkong, c’est, en 2009, l’agression d’un photographe de presse britannique par Grace Mugabe et son garde du corps. Si la famille comptait couler une retraite tranquille à Hongkong cela s’annonce déjà compliqué.