L’avis du « Monde » – à voir

Reynaldo, quinze ans à vue de nez, est mis à la porte de chez lui par sa mère. Son grand frère le présente à un petit malfrat dont il espère qu’il pourra l’héberger. Le petit malfrat accepte, mais à une condition : que Reynaldo s’introduise le soir même dans une maison pour y dérober un gros paquet de billets. Le grand frère proteste – Reynaldo est trop jeune, il n’a aucune expérience… –, mais l’affaire se conclut et le film bascule dans la nuit, sur les traces de l’adolescent que l’on suit escaladant le mur de la propriété, se faufilant à l’intérieur de la demeure, descendant les escaliers à pas de loup, s’emparant du magot… Jusqu’à ce qu’il tombe nez à nez avec un chien de garde. Le molosse se déchaîne, l’alarme se déclenche, la police rapplique dare-dare, le gamin s’enfuit sur les toits, voit ses deux complices se faire arrêter, sème ses poursuivants, planque l’argent derrière deux parpaings, se laisse glisser dans la cour d’une maison et tombe, détruisant dans sa chute la jolie serre en bois dont les propriétaires des lieux venaient d’achever la construction.

Tout le film repose sur un mélange de réalisme social et de polar nerveux, de mélodrame et de thriller

La famille était réunie pour un anniversaire. Le bruit du fracas les fait sortir dans la cour. Le fils, trentenaire, veut appeler la police, mais son père refuse. Il immobilise Reynaldo, l’enferme dans une chambre, le menotte à un lit. Filmée avec souplesse et légèreté, rythmée par une musique haletante, cette longue séquence a des accents de polar qui contrastent avec le naturalisme du début. Tout le film, de fait, repose ainsi sur un mélange de réalisme social et de polar nerveux, de mélodrame et de thriller, dont les dosages varient au gré de l’intrigue et à mesure qu’infusent, les unes dans les autres, les différentes strates de récit.

On pense au cinéma de Pablo Trapero — à El bonaerense en particulier, dont l’intrigue se déployait, comme celle-ci, sur fond de corruption de la police argentine. Et cela n’a rien d’une coïncidence : Trapero est à la fois le producteur de La educacion del rey et un partenaire de longue date du réalisateur Santiago Esteves, qui a notamment travaillé pour lui comme monteur.

Redonner un sens à son existence

Interprété par German de Silva, figure familière du cinéma argentin, Carlos, le père de la famille, est un ancien convoyeur de fonds qui vit mal son nouvel état de retraité. Avec l’arrivée de ce jeune fugitif, en qui il reconnaît peut-être quelque chose du jeune homme qu’il fut, il entrevoit la possibilité de redonner un sens à son existence. Aussi lui propose-t-il, en guise de réparation, de reconstruire la serre lui-même et de s’installer à domicile pendant le temps des travaux. Une main tendue providentielle, en somme, qui soustrait Reynaldo aussi bien à la police qui le traque qu’aux commanditaires du vol, dont on comprend vite qu’il s’agit des mêmes personnes.

Santiago Esteves cultive une esthétique de l’artifice minimal

Tandis que ses complices subissent, en prison, les sévices de ces sinistres personnages qui veulent récupérer l’argent, le jeune héros construit la serre et gagne la confiance de son protecteur. Peu de mots sont échangés entre eux, mais des gestes, des attentions, qui témoignent d’une affection et d’une reconnaissance réciproques et esquissent un début de relation filiale. Carlos a connu la pauvreté, les milieux interlopes, la prison. Il sait la violence et l’injustice que produit une société inégalitaire qui protège d’autant moins les plus faibles que ses institutions sont corrompues. Il perçoit la fragilité du jeune homme et veut l’aider à se consolider.

Guidé par sa connaissance ­instinctive de la ville de Mendoza, dont il est originaire, et dans laquelle il a choisi de tourner ce film (son premier long-métrage), Santiago Esteves cultive une esthétique de l’artifice minimal. Celle-ci pourrait paraître old school si elle ne servait pas à ­dépeindre la zone grise généralisée dans laquelle évoluent les individus dans des sociétés ­contemporaines corrompues. Aussi n’est-on pas surpris, en lisant le dossier de presse, d’apprendre qu’avant de devenir un film, La educacion del rey fut d’abord une mini-série télé.

La educación del Rey - Trailer (HD)
Durée : 02:04

Film argentin de Santiago Esteves. Avec Matias Encinas, German de Silva, Walter Jakob (1 h 36). Sur le Web : www.urbandistribution.fr/films/la-educacion-del-rey