Souleïman Kerimov en août 2012. / SERGEI RASULOV JR. / AFP

Le milliardaire et sénateur russe Souleïman Kerimov, arrêté à Nice et interrogé dans une enquête pour blanchiment de fraude fiscale, a été présenté à un juge d’instruction mercredi 22 novembre, déclenchant la colère de Moscou, qui a convoqué le chargé d’affaires français.

Après deux nuits au commissariat et deux jours d’audition, M. Kerimov a été transféré au tribunal peu après 17 heures. Deux de ses gardes du corps attendaient devant le tribunal.

M. Kerimov est soupçonné de s’être approprié plusieurs propriétés mitoyennes sur la magnifique presqu’île du cap d’Antibes, véritable havre pour les milliardaires, par des achats successifs réalisés à l’aide d’un prête-nom et pour des montants sous-déclarés.

Chargé d’affaires français convoqué par Moscou

L’affaire, à l’instruction depuis trois ans, a déjà débouché sur des saisies, une perquisition en février et les mises en examen d’un avocat fiscaliste de la Côte d’Azur et de deux hommes d’affaire suisses.

Quant à M. Kerimov, il pourrait avoir à rembourser « plusieurs dizaines de millions d’euros » au fisc français et être mis en examen, selon une source de l’Agence France-Presse proche du dossier. Deux avocats assistent M. Kerimov, Me Nikita Sichov et Me Kami Haeri.

Mais avec l’interpellation du milliardaire, lundi soir, et son placement en garde à vue, la justice française a frappé fort : le sénateur russe est détenteur d’un passeport diplomatique, qu’il n’aurait pas utilisé lundi, voyageant pour raisons privées. Le chargé d’affaires français à Moscou a été convoqué après que la Douma, chambre basse du Parlement, eut voté une résolution dénonçant une violation de la convention de Vienne sur l’immunité diplomatique.

« Le statut de sénateur de Souleïman Kerimov, ainsi que le fait qu’il soit citoyen de la Russie, constitue un gage que nous entreprendrons tous les efforts possibles, les efforts maximaux pour protéger ses intérêts juridiques », a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

« M. Kerimov bénéficie d’une immunité de juridiction pénale étrangère pour les seuls faits accomplis dans l’exercice de ses fonctions », a réagi le Quai d’Orsay.

Fortune à 6 milliards d’euros

C’est au détour d’une banale enquête pour trafic de stupéfiants que la police française a été mise sur la piste, intriguée par les allées et venues suspectes, avec de l’argent liquide, de la secrétaire de l’avocat fiscaliste antibois, Philippe Chiaverini.

Classé vingt-et-unième fortune de Russie par le magazine Forbes, qui estime son patrimoine à 7 milliards de dollars (6 milliards d’euros), l’oligarque de 51 ans est un familier de la Côte d’Azur. Il avait défrayé la chronique à la fin de 2006 à cause d’un accident en Ferrari à l’entrée de la promenade des Anglais.

En septembre, Nice-Matin avait révélé que la somptueuse villa « Hier » au cap d’Antibes, évaluée à 150 millions d’euros, dont M. Kerimov était soupçonné être le propriétaire occulte, avait été frappée d’une saisie pénale quelques semaines auparavant. Dans un droit de réponse, le financier suisse Alexandre Studhalter avait annoncé un recours contre cette saisie et démenti être l’homme de paille de M. Kerimov.

Le nom d’un autre entrepreneur suisse, Philippe Borghetti, apparaît dans le dossier. Tout comme MM. Chiaverini et Studhalter, il est mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale, ce dont il se défend « avec la plus grande énergie », selon son avocat Me Philippe Soussi.

Originaire du Daguestan, une république russe voisine de la Tchétchénie, M. Kerimov a fait fortune au moment des privatisations lors de la chute de l’URSS. Dans le passé, il a notamment détenu des parts dans le numéro un mondial des engrais agricoles, Uralkali, et contrôlé le club de football daguestanais d’Anzhi Makhachkala.

Après avoir subi d’importantes pertes financières, il a cédé la plupart de ses actifs et détient désormais, avec sa famille, le producteur d’or Polyus. Il a également été député du parti ultranationaliste LDPR avant de représenter le Daguestan au Conseil de la Fédération, la chambre haute du Parlement russe.