Dans un pays où les opérations de change avec l’étranger sont étroitement contrôlées, l’arrivée des monnaies virtuelles n’est pas considérée comme une innovation porteuse d’espoir par les autorités financières. Lundi 20 novembre, l’Office national des changes du Maroc a annoncé l’interdiction des transactions en monnaie virtuelle, dont le bitcoin est la plus emblématique. Le gendarme marocain justifie sa décision notamment par la volatilité du cours de ces cryptomonnaies, jugées illégales.

En l’absence de cadre réglementaire sur les monnaies électroniques et malgré un régime de change très strict dans le royaume, plusieurs entreprises marocaines avaient commencé à accepter le bitcoin pour le paiement de leurs prestations. Le coup de sifflet des autorités marocaines est intervenu une semaine après qu’une société de services numériques, la MTDS, a informé ses clients qu’elle acceptait les paiements en bitcoins. L’annonce, qui a fait grand bruit dans la presse locale, a obligé les autorités à condamner officiellement la pratique.

« Financement du terrorisme »

« Les transactions effectuées via les monnaies virtuelles constituent une infraction à la réglementation passible des sanctions et amendes prévues par les textes en vigueur », a tranché l’office marocain dans un communiqué, après avoir constaté « l’utilisation par certaines personnes physiques et morales des monnaies virtuelles dans la réalisation de leurs transactions financières ». Qualifiant les monnaies virtuelles de « système de paiement occulte », l’office des changes a rappelé que « toutes les transactions financières avec l’étranger doivent être effectuées via les intermédiaires agréés par les autorités et avec les devises étrangères cotées par Bank Al-Maghrib [la Banque centrale marocaine] ».

Le lendemain, les autorités monétaires ont également réagi dans un communiqué publié conjointement par le ministère de l’économie et des finances, Bank Al-Maghrib et l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), mettant en garde contre « certains articles parus récemment dans la presse nationale ». « Ces annonces sont de nature à semer la confusion dans l’esprit du public, en faisant croire que cette monnaie virtuelle est reconnue par les autorités monétaires », peut-on lire dans le communiqué. Les autorités ont également averti des risques liés au bitcoin, pouvant être utilisé « à des fins illicites ou criminelles, notamment le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ». 

Les monnaies virtuelles, dont la plus célèbre est le bitcoin créé en 2009 – dont l’inventeur serait l’informaticien Satoshi Nakamoto –, ont été conçues comme une alternative aux monnaies encadrées par des banques centrales et aux marchés traditionnels. Sans existence physique, la monnaie virtuelle ne s’appuie pas sur la signature d’un Etat ou d’une institution et tire sa valeur de l’inviolabilité du protocole informatique qui l’a créée, la blockchain. Le bitcoin, dont le cours ne dépassait pas les 1 000 dollars au 1er janvier 2017, a atteint un niveau record de 8 300 dollars lundi.

Un système inviolable

Les Marocains résidant dans le royaume n’ont pas le droit de détenir un compte à l’étranger et doivent obtenir une autorisation pour sortir des devises hors du territoire : la dotation touristique est limitée à 40 000 dirhams (environ 3 600 euros) par an. Il faut une carte bleue spéciale – plafonnée à 10 000 dirhams par an – pour effectuer des achats en ligne.

Beaucoup de Marocains se sont ainsi tournés vers les cryptomonnaies et leur système anonyme pour échapper à la vigilance des autorités. « Ici, on utilise de plus en plus le bitcoin pour faire du trading ou des placements, confie un trader marocain sous couvert d’anonymat. Mais nous ne sommes pas les seuls. Beaucoup s’en servent pour leurs activités commerciales ou pour payer en ligne. Si on est un peu connaisseur, ce n’est pas difficile d’acheter des bitcoins au Maroc. »

Malgré la difficulté d’évaluer le volume de ces échanges, les transactions en monnaie virtuelle dépasseraient les 200 000 dollars par jour au Maroc, soit 62 millions d’euros par an, selon des estimations publiées dans la presse locale. A titre de comparaison, le volume total des transactions au Maroc s’élevait à 2,1 milliards d’euros en 2016.

Depuis les années 1970, le royaume a adopté un régime de fixité rattaché à un panier de devises (40 % de dollars, 60 % d’euros) qui permet la cotation du dirham. Avec une monnaie faible et une réserve de change insuffisante, l’office des changes a tout intérêt à interdire les transactions effectuées avec la cryptomonnaie. Reste à savoir si le gouvernement marocain sera capable de faire appliquer la mesure sur un circuit informatique qui reste, à ce jour, inviolable. Quant à la réforme annoncée sur la flexibilité du dirham, elle a été reportée sine die.