Le reportage de CNN montrant des Subsahariens vendus comme esclaves en Libye continue de susciter de vives réactions. Mercredi 22 novembre, le président français, Emmanuel Macron, a dénoncé des « crimes contre l’humanité ». Paris réclame une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies pour discuter des actions à mener pour lutter contre l’esclavage en Libye.

En France, la mobilisation a débuté samedi 18 novembre avec une manifestation qui a réuni plusieurs milliers de personnes à Paris, à l’appel du Collectif contre l’esclavage et les camps de concentration en Libye, tout juste formé. Son fondateur, l’animateur de radio Claudy Siar, célèbre en Afrique et aux Antilles, est à la base de ce mouvement. Son cri de colère posté sur Facebook quelques heures après la diffusion du reportage de CNN a déjà été vu plus de 3 millions de fois.

Vous attendiez-vous à une telle mobilisation le 18 novembre à Paris ?

Claudy Siar Une heure après avoir fait cette vidéo, j’ai voulu l’effacer. Parce que je trouvais que j’étais trop en colère. Mais quelques minutes après, j’ai vu qu’il y avait déjà plus de 1 000 partages. Je me suis dit que je ne pouvais plus la retirer, car mon propos faisait écho. J’appartiens à un peuple né dans les fers de l’esclavage et cette violence, je la ressens encore dans ma vie, c’est pour ça que je suis engagé dans ces combats [Claudy Siar est vice-président du Conseil représentatif des Français d’outre-mer]. Je ne peux pas accepter de voir l’autre humilié, déshumanisé. Donc j’ai eu cette réaction qui, pour moi, est totalement normale.

Pourquoi toutes ces réactions ? Il y a évidemment la colère suscitée par cette vidéo en Libye, mais il y a plus que ça. J’ai senti une autre colère. Car les gens ont été ramenés à leur condition en France, au racisme qui perdure, à ces relégations géographiques dans les quartiers, à ces personnes qui peinent à se loger, à trouver du travail quand bien même elles ont les qualifications. Le jour de la manifestation, j’étais à la fois attristé et très heureux. Attristé parce qu’il n’y avait pas cette France arc-en-ciel comme après les attentats. Et très heureux parce que pour la première fois, il y avait des gens d’origine africaine et des Afro-Caribéens qui marchaient ensemble. Les uns et les autres étaient unis dans une même manifestation, parce qu’ils se sentaient tous concernés.

Aujourd’hui, beaucoup de gens ont envie de se rassembler autour de l’histoire, de la culture et de l’identité. Nous sommes une France métissée, n’en déplaise à certains, et même si nous sommes invisibles à la télévision ou dans le gouvernement, c’est la réalité et il faut l’accepter.

Emmanuel Macron a dénoncé des « crimes contre l’humanité » en Libye et la France demande une réunion Conseil de sécurité de l’ONU. Dans le même temps, les pays africains semblent très timorés…

Je suis très heureux que le président Macron ait parlé de « crimes contre l’humanité ». Je ne suis pas là pour taper systématiquement sur les présidents africains, parce que je sais qu’il y a le poids de l’histoire et la faiblesse de leurs Etats à l’échelle internationale. Mais on aurait aimé qu’ils prennent le leadership en disant : « C’est un crime contre l’humanité. La Libye étant membre de l’Union africaine, nous demandons une réunion extraordinaire des Etats membres. Et s’il y a des sanctions à prendre contre la Libye, que nous les prenions ! » Il fallait une réponse énergique. Les populations ont besoin d’avoir des leaders qui ont, pardonnez cette expression, des couilles ! Qui y vont ! Qui se battent !

Devant le durcissement de la politique migratoire européenne, que peuvent les Etats africains ?

Ils devraient dire à l’Occident : « Vous ne pouvez pas continuer à nous empêcher de nous industrialiser, car tant que nous serons pauvres, nos jeunes partiront car ils sont déterminés. Vous ne pouvez pas continuer à nous obliger à utiliser une monnaie, le franc CFA, qui ne fait que nous affaiblir. » Le monde dans lequel nous vivons a été créé par les Occidentaux. Ce sont leurs règles du jeu et ils sont les maîtres du jeu. Nous ne sommes que des petits joueurs. Même quand nous gagnons, on nous reprend la carte gagnante. Les pays africains doivent dire : « On sort de ce jeu-là, on va vivre en autarcie, comme il y a plusieurs siècles, on a la technologie, on sait faire. Ça prendra du temps mais on prendra le temps qu’il faut, entre nous, pour nous. » C’est Mandela qui disait que ce qui est fait pour nous mais sans nous est en réalité contre nous. Nous demandons à ces chefs d’Etat qu’ils soient actifs, qu’ils pensent aux générations futures et pas seulement à leur clan qui s’enrichit.

Le drame en Libye a aussi suscité de vives critiques à l’égard de certains pays arabes où le racisme anti-Noir est très fort. Qu’en pensez-vous ?

Il y a du racisme dans ces pays-là, comme il y en a en France, en Europe. De par l’histoire, il y avait une relation de dominant à dominé entre eux et les Noirs. Mais il faut qu’on fasse très attention. L’action que nous menons n’est pas une action de Noir contre Arabe ou de Noir contre Blanc. Si nous tombons là-dedans, ça veut dire que nous devenons à notre tour des gens qui discriminons. Il y a des gens qui ont commis des crimes contre l’humanité. Je ne veux pas savoir s’ils sont Libyens, musulmans ou chrétiens. Il faut juste qu’ils soient arrêtés et condamnés lourdement.