Le siège du RSI, à Saint-Denis. / THOMAS SAMSON / AFP

Derrière le guichet d’accueil de la caisse du régime social des indépendants (RSI) de Rouen, Hawa répond aux questions des assurés avec sourire et détermination. Chignon haut et perles aux oreilles, la jeune femme ne laisse rien paraître du sentiment d’« injustice » et de l’inquiétude qui l’assaille, alors qu’elle et ses collègues se savent « en sursis ».

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le RSI – la caisse de Sécurité sociale des commerçants, artisans, autoentrepreneurs et professions libérales –, plombé par de nombreux dysfonctionnements depuis sa création, en 2006, s’apprête à disparaître, au 1er janvier 2018, pour être progressivement adossé au régime général.

Les quelque 5 500 agents qui y travaillent attendent d’être transférés vers les caisses du régime général (Urssaf, CPAM, Carsat) au cours d’une période transitoire de deux ans. En attendant de savoir « à quelle sauce [ils vont] être mangés », l’appréhension prévaut parmi les salariés, déjà éprouvés par des années de bugs à répétition et, souvent, transformés en boucs émissaires d’un régime à l’image très dégradée auprès de ses assurés.

Le logiciel de l’Urssaf était inadapté

Au deuxième étage de la caisse rouennaise, dans le bureau chargé des affiliations et des radiations, l’incompréhension le dispute à l’amertume pour Valérie, Stéphanie et Marie. « On se sent sanctionnés à tort, sacrifiés pour des dysfonctionnements dont on n’est pas responsables et dont on a fait les frais au même titre que les assurés », déplore Valérie, la cinquantaine.

Tous ici font remonter leur « perte » à 2008, quand la décision a été prise de confier le recouvrement des cotisations des indépendants à l’Urssaf, pour le compte du RSI, ce dernier devenant l’interlocuteur social unique des assurés. Problème : le logiciel utilisé par l’Urssaf – « inadapté aux spécificités des indépendants », selon les agents du RSI –, a engendré de nombreuses erreurs dans les appels de cotisations, contribué à la perte de dossiers ou provoqué des interventions d’huissiers à partie de fausses données, nourrissant l’exaspération des assurés.

En trente ans de maison, Sandra*, conseillère en protection sociale, n’avait jamais connu de tels bugs. « Comme il n’y avait que notre logo sur les appels à cotisations, c’est le RSI qui a tout pris », déplore-t-elle. Elle vient de coucher sa colère dans une lettre de trois pages qu’elle compte envoyer aux médias.

« Les vrais motifs de la suppression du RSI, politiques, n’ont pas été clairement affichés »

Si tous, dans la caisse rouennaise, trouvent que l’idée de rapprocher RSI et Urssaf pour simplifier les démarches était bonne, ils regrettent « la précipitation » avec laquelle cela a été fait, « alors que le système n’était pas prêt ». Ils sont surtout en colère « qu’aucune responsabilité nationale n’ait été prise pour expliquer aux assurés que les anomalies ne venaient pas des agents mais d’un logiciel défaillant », sur lequel ils n’avaient « pas de prise », insistent-ils.

Cela a conduit à essuyer la colère des assurés, supporter les « attaques des médias », tout en tentant de rattraper les erreurs informatiques au prix de retards dans le traitement des dossiers. « On aura mis près de six ans à sortir la tête de l’eau », dit Valérie, qui se remémore ces « journées à rallonge, à rentrer parfois en pleurs » :

« On s’est donné à fond pendant toutes ces années pour tenter de rectifier le tir. Maintenant que ça commence enfin à fonctionner normalement et qu’on peut faire du travail de qualité pour nos assurés, on apprend que c’est fini ! »

Une « frustration » que partage aussi le directeur régional du RSI de Haute et Basse-Normandie, Alain Clicq, qui estime que « les vrais motifs de la suppression du RSI, politiques, n’ont pas été clairement affichés et que les dysfonctionnements passés ont servi de prétexte ».

Les agents doutent que les choses fonctionneront mieux demain pour les indépendants. « Les appels à cotisations demeureront, et ils seront toujours gérés par le même logiciel de l’Urssaf », soulignent-ils. Ils craignent aussi que les spécificités des indépendants soient moins bien prises en compte, « noyées dans la masse des salariés ». « Leur protection sociale sera morcelée entre les différentes caisses, là où ils avaient un guichet unique et un suivi global », pointe M. Clicq.

Perdre la proximité avec les assurés

Les salariés du RSI sont également inquiets pour leur propre avenir. Certes, le gouvernement a pris l’engagement que tous les emplois seraient préservés et qu’il n’y aurait pas de mobilité forcée. Mais cela ne suffit pas à rassurer. En attendant que démarrent les négociations des accords d’accompagnement du personnel, « c’est le flou total », regrette Christine Verstraete, secrétaire fédérale CGT-RSI, qui aimerait être en mesure de fournir des renseignements aux salariés : « Qu’ils sachent au moins dans quelle branche du régime général ils vont aller. Car l’attente est longue. » Certains ont d’ailleurs choisi de « prendre les devants » et sont déjà partis.

« On en est réduits à attendre de voir où on va atterrir. On a l’impression d’être des pions », déplorent Valérie et ses collègues. « OK, on ne perd pas notre boulot. Mais si c’est pour se retrouver à l’Urssaf à faire du recouvrement pur et dur, ça reviendra à changer de métier », s’inquiètent-elles, alors que leur travail actuel les amène à couvrir tous les aspects de la protection sociale.

Il y a aussi la crainte de perdre cette « proximité » avec des assurés dont elles connaissent les problématiques spécifiques. « On nous a dit qu’on pourrait faire des vœux, mais est-ce qu’on aura réellement le choix ? », s’interroge Hawa, qui a signé son CDI il y a peu. « Qu’est-ce qui me garantit que je ne vais pas être envoyée à Evreux ? », interroge, pour sa part, Melinda, qui travaille au service recouvrement et fait déjà plus de 25 km pour venir travailler.

Cette préoccupation est plus forte encore pour les agents qui travaillent dans des petites communes ne comptant aucune caisse du régime général. A Autun (Bourgogne), par exemple, où les antennes de la CPAM et de la Carsat ont déjà fermé, les 30 agents du RSI s’inquiètent de devoir, à terme, faire des kilomètres pour aller travailler dans les villes les plus proches. Un déplacement qui serait aussi une contrainte pour les assurés.

Une image « trop dégradée »

Dans ce contexte, il faut continuer à travailler. Rassurer, entre autres, les assurés, inquiets de savoir si leur protection sociale va bien se poursuivre. Et ce n’est pas forcément le plus facile à vivre car, chez un certain nombre d’entre eux, l’agressivité – qui a toujours fait « partie du métier » – a pris des airs plus revanchards. « On se prend des “C’est bien fait pour vous, vous allez savoir ce que ça fait de pointer à Pôle Emploi” », témoigne dans un soupir Hawa, dont l’une des collègues d’accueil a été récemment agressée par un assuré. Mais Hawa tient aussi à mentionner ces assurés « qui disent qu’ils ne comprennent pas pourquoi on supprime le RSI ».

Si la plupart des salariés s’accordent à dire qu’il « fallait faire quelque chose » pour le RSI dont l’image était « trop dégradée » – au point, pour certains, de ne pas oser dire qu’ils y travaillent –, ils doutent que sa suppression soit la solution. « On risque de se retrouver avec les mêmes problèmes qu’en 2008, s’inquiète Melinda. Ça commençait à aller mieux. C’est un gâchis d’avoir tout fait sauter. »

* Son prénom a été modifié à sa demande.

Après l’Assemblée nationale, le Sénat vote la suppression progressive du RSI

  • Après l’Assemblée nationale, le Sénat a voté le 15 novembre la proposition du gouvernement d’une disparition progressive du régime social des indépendants à partir du 1er janvier 2018.
  • Une période transitoire de deux ans est prévue pour intégrer ses bénéficiaires au régime général. Quelque 6,5 millions de personnes sont enregistrées au RSI. Ses missions (retraite, assurance-maladie, etc.) seront reprises par les organismes du régime général : Urssaf, CPAM, Carsat. De même que ses 5 500 employés.
  • Le gouvernement a confié à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) la mission de coordonner la préparation de la réforme.
  • Au début de septembre, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a invité le gouvernement à « éviter la précipitation », au risque d’avoir « le même résultat que nous avons eu dans la mise en œuvre du RSI ». Une cinquantaine d’administrateurs du RSI ont également dénoncé ce projet de suppression, prédisant une « catastrophe industrielle »  en référence à l’expression employée par la Cour des comptes, en 2012, pour désigner la réforme de 2008 ayant rapproché le RSI et l’Urssaf.