Go Nagai, le créateur de«  Goldorak » et « Mazinger Z ». / Toei Animation/Go Nagai

Il est celui grâce à qui tout a commencé. La prodigieuse percée du manga en France, et plus généralement de la pop culture japonaise, doit beaucoup à Go Nagai, le créateur de Goldorak. C’était un jour de juillet 1978, au milieu de l’émission « Récré A2 », présentée par Dorothée : piloté par un prince en exil originaire d’une planète lointaine, un robot géant s’apprêtait à bousculer les mercredis après-midi de centaines de milliers d’adolescents avec ses histoires au manichéisme éculé et ses armes aux noms imagés (corno-fulgure, rétro-laser, fulguro-poing…). Immédiat, le succès de Goldorak allait alors ouvrir la voie à d’autres séries animées à la télévision française – Candy, Albator, Les Chevaliers du Zodiaque, Olive et Tom, Sailor Moon… – et préparer le terrain à l’implantation, plus tard, de nombreuses licences nipponnes sur le sol européen, de Dragon Ball à Naruto, de Super Mario à Zelda, de Pokémon à Hello Kitty.

Le robot Mazinger Z a été créé par Go Nagai en 1972, deux ans avant Goldorak. / Toei Animation/Go Nagai

Ce rôle de déclencheur, Go Nagai ne l’a jamais revendiqué. Conçu en 1974 sous la forme d’un manga, Goldorak – de son vrai nom Grendizer – fut au départ une commande d’un fabricant de jouets, Bandai, qui souhaitait développer un robot. Deux ans plus tôt, le dessinateur avait créé un autre géant habité, du nom de Mazinger Z, qui connut un joli succès au Japon, sans jamais dépasser toutefois les frontières de l’archipel. Le mastodonte est aujourd’hui le héros de Mazinger Z Infinity, un film d’animation produit la Toei Animation et réalisé Junji Shimiju. On passera très vite sur le scénario de ce long-métrage construit autour de batailles de robots à grand renfort de fer et de feu. On passera encore plus vite sur la qualité de l’animation, à peine moins laborieuse que celle des Goldorak des années 1970. Certains nostalgiques trouveront peut-être cela très vintage. C’est ce que nous avons voulu vérifier auprès de Go Nagai, 72 ans, de passage à Paris.

MAZINGER Z INFINITY - BANDE ANNONCE VF - AU CINEMA LE 22 NOVEMBRE
Durée : 01:31

Goldorak a eu un impact considérable sur la jeunesse française à la fin des années 1970. L’avez-vous su à l’époque ?

Non, pas au moment de la diffusion des premiers épisodes de la série animée. Je ne l’ai appris que quelques années après, et je me souviens que cela m’avait beaucoup étonné. Goldorak a en quelque sorte servi d’appât à la pop culture japonaise pour s’implanter en Europe. Jamais je n’aurais pu imaginer cela au moment de créer cet univers. J’étais alors un dessinateur qui aimait ce genre qu’on appelle « mecha », qui consiste à mettre en scène des robots. Le mecha a été très populaire au Japon dans les années 1960, grâce à des séries comme Astro Boy, d’Osamu Tezuka, ou Tetsujin 28-go, de Mitsuteru Yokoyama, avant de tomber dans l’oubli. Moi, cela m’amusait encore. J’ai commencé Goldorak en manga après que la Toei a décidé qu’il y aurait aussi un feuilleton en dessin animé.

Avec le recul, comment expliquez-vous le succès de Goldorak ?

C’est la première fois qu’on voyait un robot piloté par un humain. Les enfants se sont mis immédiatement dans la peau d’Actarus, comme s’ils allaient eux aussi pouvoir déployer une force incroyable. Goldorak leur offrait la possibilité d’être plus forts que leurs parents. Les enfants rêvent tous de devenir adulte le plus rapidement possible. Soudainement, un robot leur permettait de sauter plusieurs étapes.

Saviez-vous que le choix des programmateurs français s’était porté sur Goldorak parce que la série était très bon marché : 20 000 francs l’épisode ?

Le PDG de la Toei avait alors bradé un grand nombre de séries animées. Il y avait une volonté d’investir le marché occidental ; il fallait donc vendre peu cher pour être sûr de toucher un large public en dehors du Japon. Je n’ai pas du tout été mêlé aux discussions, à l’époque. Ni aux négociations. Je ne sais pas combien la Toei a touché précisément dans la vente de Goldorak à l’étranger. Moi, ce fut zéro. J’ai probablement perdu des millions de yens sans m’en rendre compte. Le PDG en question a quitté l’entreprise depuis longtemps.

Une esquisse préparatoire au film « Mazinger Z Infinity ». / Toei Animation/Go Nagai

Mazinger Z est totalement inconnu en France. Que représente-t-il pour vous ?

J’y porte un grand attachement car il a été le premier robot que j’ai créé. C’était en 1972. Il est un peu l’ancêtre de Goldorak. Cette idée de robot piloté par un humain m’était venue, cette année-là, alors que j’étais au volant de ma voiture, au milieu d’un embouteillage. « Si seulement j’avais des jambes pour passer au-dessus des véhicules », m’étais-je dit à moi-même. Ma grande préoccupation fut alors d’être le plus réaliste possible dans la conception de ce robot géant. Il fallait que la taille de ses jambes soit proportionnée à celle de son corps et qu’il puisse bouger pour de vrai. Ce fut surtout une histoire de mesures et de lois physique, au début.

Dénoncée à l’époque par certains détracteurs, la dimension guerrière de vos robots a-t-elle aussi contribué à leur succès auprès des jeunes garçons ?

Sans doute, mais Mazinger Z et Goldorak sont des séries pacifistes avant tout. Il s’agit, pour les héros, de faire obstacle à des groupes ennemis afin de protéger la Terre des pires catastrophes. On pourrait comparer ces groupes à des terroristes aujourd’hui.

Koji Kabuto, le pilote de Mazinger, apparaît aussi dans « Goldorak » sous le nom d’Alcor. / Toei Animation/Go Nagai

Est-il exact que votre concept de robot piloté de l’intérieur a été beaucoup copié au Japon ?

Oui. Nous avons répertorié environ 200 imitations. C’est le mauvais côté de la télévision : dès qu’une mine d’or est trouvée, on va l’exploiter jusqu’à son épuisement. Au Japon, on peut breveter un personnage mais pas un concept. Mes robots habités ont été copiés à la pelle, sans que je ne puisse rien y faire.

Pourquoi faire un film autour de Mazinger Z aujourd’hui, quarante-cinq ans après sa création ?

Il n’y a jamais eu de long-métrage tiré de cette série. Le principal objectif est de répondre à l’attente d’une génération de fans, qui a grandi depuis.

D’où cette esthétique très semblable à celle de l’époque…

Oui. Faire un film d’animation en 3D à l’image de ceux que l’on voit beaucoup aujourd’hui aurait dénaturé la série. Albator a été adapté au cinéma en 3D [Albator, corsaire de l’espace, de Shinji Aramaki, 2013] : cela ne m’avait pas du tout parlé. On en a beaucoup discuté, mais la 2D nous est apparue préférable. La plupart des séquences ont été dessinées à la main. Etant très peu impliqué dans la conception de ce film, je me suis contenté de faire confiance à l’équipe de production, composée d’enfants de la génération Mazinger Z et même de fans. Je savais que je ne serais pas déçu.