Beaucoup de femmes victimes d’agressions sexuelles au travail n’en informent pas les syndicats. / Sébastien Erome / Signature pour Le Monde

Une large banderole a été déployée le long de la tribune. « Assez de violences faites aux femmes au travail et dans la vie. » Il est 14 heures, mercredi 22 novembre, et la salle de la Bourse du travail à Paris se remplit doucement. Une centaine de militant(e)s et d’élu(e)s CGT sont venus assister à une journée d’étude organisée par le collectif Femmes mixité du syndicat, intitulée « Lutter contre les violences sexistes et sexuelles : un enjeu syndical ». Trois thèmes sont abordés : « Gagner des mesures de prévention des violences et de protection des femmes au travail », « Comment défendre syndicalement une femme victime de violences ? » et « Une CGT sans sexisme : c’est possible ».

Mardi, c’était la CFDT qui organisait à son siège une formation similaire, accompagnée par Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). L’approche se fait ici autour de cas concrets. Mais les questionnements sont les mêmes : comment bien accueillir et accompagner une femme qui viendrait confier ce qu’elle a subi ? Quel comportement adopter vis-à-vis à de l’agresseur présumé ? Vis-à-vis de l’employeur ? Que mettre en place au sein de l’entreprise pour prévenir ce type de comportements ? En fin de journée, chacun repart avec des affiches à punaiser sur les panneaux et locaux syndicaux ou encore un guide pratique (celui de la CGT ou de la CFDT).

« La libération de la parole est encore très relative dans l’entreprise, car il y a un lien de subordination », Sophie Binet

Ces dernières années, des syndicats ont commencé à se saisir de cette question des violences et harcèlement sexuels au travail. Pourtant, si des associations d’aide aux victimes, comme l’AVFT, ont vu les appels se multiplier ces dernières semaines, les syndicats ne peuvent pas en dire autant. « La libération de la parole est encore très relative dans l’entreprise, car il y a un lien de subordination », estime Sophie Binet, membre de la commission exécutive de la CGT, chargée de l’égalité femmes-hommes.

Encore trop peu saisis

Alors que le représentant du personnel ou le délégué syndical devraient être en première ligne dans l’entreprise pour recueillir la parole des victimes et les accompagner, ils sont encore trop peu saisis. « Beaucoup de victimes ne nous jugent pas légitimes sur ces questions, souligne Christophe Dague, secrétaire général de la CFDT Paris, qui coanimait la journée. Nombreuses sont aussi celles qui considèrent que cela relève de la sphère privée : même si ça se passe sur leur lieu de travail, pour elles, cela ne concerne pas le travail. » Les pratiques doivent aussi évoluer. « Les salariées imaginent, et parfois à raison, que si elles saisissent le syndicat, elles vont être dépossédées de leur procédure », ajoute Mme Baldeck.

A cela, il faut ajouter que certains syndicalistes sont encore réticents à s’emparer de ces thématiques qui ne vont pas de soi dans le parcours militant ou tout simplement pas une priorité pour leur organisation. Reste donc à les banaliser, notamment au travers de ces journées de formation. A FO, par exemple, seuls les « référents égalité » – une centaine de personnes sur toute la France – en ont suivi. « On va voir s’il y a une possibilité de le faire plus largement », pointe Anne Baltazar, secrétaire confédérale chargée de l’égalité professionnelle.

Encore très masculins

Même si la parité progresse, les syndicats sont encore très masculins – la plupart de leurs leaders sont des hommes. Le sexisme y est présent comme partout ailleurs et il faut aussi changer les mentalités en interne. « L’idée, c’est qu’il faut être nous-mêmes exemplaires si on veut être crédibles vis-à-vis de potentielles victimes », considère M. Dague. « L’organisation patriarcale des syndicats commence à changer, note Mme Baldeck. Mais aller voir le syndicaliste quand c’est presque toujours un homme et qu’il n’est pas toujours irréprochable dans son comportement reste un frein. »

Car certains militants ou élus peuvent eux-mêmes être des agresseurs. Ce qui pose la question du positionnement du syndicat à leur égard. Fin 2016, la CGT a mis en place une initiative originale pour gérer ces situations au travers d’une cellule de veille, composée de sept militants (quatre femmes et trois hommes). « Elle intervient dans les cas les plus compliqués, notamment lorsque l’agresseur bénéficie de solidarités dans le collectif militant », explique Mme Binet. Aucun chiffre n’est donné pour l’heure mais un premier bilan devrait être tiré dans les prochains mois.