Editorial du « Monde ». La condamnation par les juges du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye, mercredi 22 novembre, du général serbe Ratko Mladic [qui, d’après son fils, va faire appel] à une peine d’emprisonnement à vie pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, clôt vingt-cinq années d’existence d’une cour dont nul n’aurait osé prédire, à sa création en 1993, qu’elle parviendrait un jour à rendre justice aux victimes de la guerre de Bosnie.

Le jugement de 1 808 pages est implacable. Le général Mladic a été reconnu coupable de « génocide » pour l’exécution de milliers de Bosniaques musulmans à Srebrenica, de « crimes contre l’humanité » pour le siège de la capitale, Sarajevo, et pour la politique d’épuration ethnique dans les 70 % du territoire du pays conquis par son armée, ainsi que de « crimes de guerre » pour avoir pris en otage les casques bleus de l’ONU. « Les crimes commis par l’accusé sont à classer parmi les plus haineux connus du genre humain », a conclu le juge Alphons Orie.

Au-delà du succès pour les procureurs et les enquêteurs, ce jugement est une étape importante dans l’écriture de la vérité de ce conflit. Seuls les négationnistes et les malhonnêtes pourront continuer à prétendre, comme ils le font depuis vingt-cinq ans, que Ratko Mladic n’a fait que défendre son peuple menacé, que les survivants des camps de concentration mentaient ou que les défenseurs de Sarajevo assiégée se bombardaient eux-mêmes.

Un goût amer

Cette victoire emblématique du TPIY laisse toutefois un goût amer. D’une part, nulle justice d’après-guerre ne devrait faire oublier la passivité et l’inaction de la communauté internationale face à ce qui fut le pire conflit européen de l’après-seconde guerre mondiale. Les conséquences s’en font encore sentir dans des pays de l’ex-Yougoslavie fracturée – pays désormais ethniquement homogènes – et en prise avec les tensions nationalistes. D’autre part, cette victoire du TPIY ne doit pas masquer que le chemin vers une justice internationale universelle reste fragile et chaotique.

Depuis quinze ans, après les tribunaux ad hoc sur l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, le Cambodge ou la Sierra Leone, il existe désormais une Cour pénale internationale (CPI), également installée à La Haye, censée juger les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Or, non seulement un certain nombre de pays n’ont toujours pas signé le traité établissant cette juridiction (Etats-Unis, Chine et Russie en tête), mais certains conflits y échappent totalement. Il y a ainsi fort peu de chances que la guerre en Syrie parvienne un jour jusqu’au prétoire. L’Irak ou, tout récemment, la Birmanie n’entrent pas non plus dans la compétence de la CPI.

Après s’être longtemps limitée à juger des criminels de guerre africains, cette cour vient toutefois de s’attaquer à deux enquêtes qui pourraient constituer un tournant, si elles aboutissaient un jour à des actes d’accusation. L’une, sur la Géorgie, vise notamment la Russie ; l’autre, sur l’Afghanistan, pourrait mettre en cause, outre les talibans, des pays de la région, voire de la coalition internationale et de l’OTAN, notamment les Etats-Unis.

Ces enquêtes font franchir un cap politique, ou du moins pour le moment psychologique, à une cour qui, pour être un jour crédible, devra s’attaquer à tous les Ratko Mladic de la planète, et si possible sans attendre que vingt-cinq années séparent la perpétration du crime du jugement de son auteur.