Le président colombien, Juan Manuel Santos (à gauche), serre la main du commandant en chef des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), Rodrigo Londono, alias « Timochenko », le 26 septembre 2016. / FERNANDO VERGARA / AP

Le 24 novembre 2016, après plus d’un demi-siècle de conflit et trois ans de négociations avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), le président colombien, Juan Manuel Santos, avait signé un accord de paix. Un an plus tard, le bilan semble mitigé, entre déception de l’ex-guérilla et hostilité d’une partie de la population et de ses représentants.

Chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) sur les questions ibériques et consultant auprès de l’administration publique, Jean-Jacques Kourliandsky revient sur les perspectives pour la paix.

Où en est aujourd’hui le processus de paix ?

S’il a bien commencé, il s’est embourbé à partir du référendum manqué du 2 octobre 2016. Le président est en fin de mandat : c’est la grande faiblesse de ces accords de paix. Il n’a pas vraiment de successeur, et la population est soit hostile, soit indifférente.

Le futur président et la nouvelle majorité qui sera élue au Congrès des députés l’année prochaine vont-ils considérer que ces accords sont fondamentaux pour la Colombie et qu’il faut non seulement les respecter, mais les appliquer ?

Second problème : les territoires abandonnés par les FARC ne sont pas restés vides. La plupart ont été réoccupés par d’autres acteurs de la violence, soit l’ELN – l’armée de libération nationale, l’autre mouvement de guérilla –, soit et surtout par des groupes délinquants associés à des réseaux extérieurs, mexicains notamment, liés au trafic de stupéfiants.

Ce retrait a provoqué dans certaines régions une exacerbation des violences et des déplacements de population, en particulier dans toute la zone Pacifique et son épicentre, le port de Buenaventura. Tous les élus locaux ont été mis en examen pour corruption. La présence de l’Etat dans ces régions-là est relativement faible.

Que deviennent les anciens guérilleros, qui ont déposé les armes ?

Aujourd’hui, ils sont dans des camps où leur état civil est enregistré et ils essaient de déterminer leur avenir professionnel. D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour la paix, 10 733 anciens combattants reçoivent une aide financière, qui s’élève à environ 90 % du salaire minimal, et tous sont affiliés au système de santé publique.

Si les accords de paix ne fonctionnent pas, un phénomène de reconversion dans la délinquance n’est pas exclu, comme au Nicaragua ou au Salvador. Ils peuvent être récupérés par des groupes délinquants, qui feraient en ce moment des « offres de contrats » assez intéressantes.

Ces changements de camp se sont déjà pratiqués à l’époque de la lutte armée. Et les dissidents des FARC [qui ont refusé la démobilisation] représentent environ 10 % des guérilleros. Le pays n’est donc pas à l’abri d’une remontée des violences. L’Etat colombien aurait en outre des difficultés à gérer le quotidien des camps, ce qui accroît le risque. Des plaintes circulent sur les conditions d’hygiène, de confort minimal.

La plupart des guérilleros n’ont pas fait d’études et 70 % d’entre eux seraient analphabètes, selon l’Organisation des Nations unies (ONU), ce qui pose un gros problème de réinsertion. Ils n’ont souvent qu’une expérience des armes. Un petit nombre, les chefs, seront élus députés, car les FARC ont obtenu un quota dans les accords. Mais la grande majorité se retrouvera dans la nature, même si certains pourront éventuellement intégrer une « police rurale » en projet, qui fait l’objet de vives critiques de la part des partisans de l’ex-président Alvaro Uribe et d’éléments dans les forces armées.

Comment l’élection présidentielle du 27 mai 2018 s’annonce-t-elle ?

Le jeu électoral et politique ne favorise pas les grands engagements en faveur de la paix. Les candidats éventuels de gauche, comme l’ancien maire de Bogota, sont en faveur des accords, mais aussi contre la politique sociale de l’actuel président Santos. Ils savent également que les électeurs urbains n’en font pas une priorité. Ceux-là suivaient la « guerre » avec les FARC en périphérie de façon virtuelle, dans la presse. Or, ce sont eux qui votent.

A droite, l’ancien président Uribe, qui représente un courant assez fort, en fait même un argument contraire : il affirme que le président a conclu un pacte avec les narcoterroristes, qu’il leur a fait des concessions inadmissibles, et que l’ensemble des Colombiens va payer des criminels.

Les FARC, eux, se sont transformés en parti politique, en conservant leur acronyme [Force alternative révolutionnaire du peuple]. Ils sont très mal vus dans les sondages d’opinion. Leur candidat obtiendra peut-être 5 %. Mais leur participation leur donne accès aux médias, à la télévision, pour prouver aux Colombiens que ce n’est pas un accord de paix de papier : ils croient que les idées qu’ils défendent peuvent l’être par la voie d’un système démocratique classique. C’est une opération de séduction pour présenter leur nouveau visage, ce n’est certainement pas pour gagner l’élection.