Des proches des marins disparus, à Mar del Plata, le 23 novembre. / MARCOS BRINDICCI / REUTERS

Douleur, colère et polémique secouent l’Argentine depuis que la marine a annoncé, jeudi 24 novembre, que le sous-marin San Juan, disparu depuis le 15 novembre avec 44 marins à bord, avait subi une « explosion », balayant toute possibilité qu’il puisse y avoir des survivants. « Je n’ai aucun espoir », a confié en larmes l’épouse d’un des marins disparus, Maria Itati Leguizamon, sur la base navale de Mar del Plata, un port à 400 kilomètres au sud de Buenos Aires, où sont rassemblées, depuis plus d’une semaine, les familles de l’équipage. « On ne nous a pas dit qu’ils étaient morts, mais s’ils sont à trois mille mètres de fond, c’est une supposition logique », a murmuré la jeune femme.

Crise de larmes, évanouissements, insultes, scènes de furie ont accueilli la nouvelle, donnée aux familles quelques minutes avant la conférence de presse, à Buenos Aires, du porte-parole de la marine, le capitaine Enrique Balbi. L’Otice (Organisation du Traité pour l’interdiction complète des essais nucléaires), qui dispose de stations de mesure dans le monde entier, a confirmé « un événement anormal, court, violent, pas d’origine nucléaire, correspondant à une explosion », qui a eu lieu le 15 novembre, trois heures après la disparition du submersible. La veille, le porte-parole avait mentionné une « anomalie hydroacoustique » détectée dans la zone où se trouvait le sous-marin au moment de sa disparition, au large de la Patagonie. Le capitaine Balbi avait révélé que la marine argentine avait « sollicité auprès de différentes agences internationales des relevés acoustiques ».

Acheté en 1985

« Ce sont des pervers, ils nous ont manipulés, ils nous ont menti », dénoncent les familles, convaincues que la marine savait dès le premier jour que le San Juan avait explosé. Des membres de l’équipage auraient exprimé des inquiétudes sur l’état du sous-marin. Les familles accusent la marine, mais aussi le gouvernement de droite du président Mauricio Macri, d’avoir ignoré la vétusté du submersible, fabriqué en Allemagne et acheté en 1985 par l’Argentine. Il avait été réparé en 2011, avant de reprendre du service en 2014. Selon la marine argentine, le sous-marin avait signalé un problème de batterie avant sa dernière communication. Mais l’avarie n’avait pas été jugée suffisamment grave par le commandant pour déclencher une procédure d’urgence.

De fortes tensions sont apparues entre le gouvernement et l’état-major de la marine, qui n’a pas signalé immédiatement la disparition du sous-marin. C’est par la presse que le ministre de la défense, Oscar Aguad, l’a apprise. Alliée du président Macri, la députée Elisa Carrio, avait dénoncé, au lendemain de la disparition du San Juan, l’état « d’abandon et les conditions critiques » dans lesquelles se trouvent les forces armées. « Cela ne peut continuer ainsi », avait-t-elle déclaré, exigeant « un changement, avec l’élimination de la bureaucratie qui génère la corruption ».

Crises économiques à répétition

La sanglante dictature militaire (1976-1983) et ses milliers de disparus, puis la cuisante défaite de la guerre des Malouines, en 1982, contre la Grande-Bretagne, a laissé une image déplorable des forces armées dans l’opinion argentine. Les crises économiques à répétition expliquent également que le budget militaire de l’Argentine soit parmi les plus bas d’Amérique latine. Parmi les 44 membres de l’équipage du San Juan figure la première femme officier d’un sous-marin de l’histoire argentine, la lieutenante Eliana Krawczyk, 35 ans. Le sous-marin était en mission dans l’Atlantique Sud, et devait regagner Mar del Plata, son port d’attache.

Eliana Krawczyk, 35 ans, la première femme sous-marinière d’Amérique du Sud, fait partie des disparus. / Argentine Navy / AP

Les recherches, auxquelles participent activement une dizaine de pays, parmi lesquels les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Brésil et le Chili, se poursuivent pour localiser le sous-marin dans l’Atlantique Sud, à quelque 400 km des côtes argentines de la Patagonie. Elles mobilisent plus de 4 000 personnes, 14 navires et 10 avions, dans une zone équivalente à la superficie de la France. La Russie, qui a vécu, le 12 août 2000, la dramatique disparition du sous-marin nucléaire Koursk, avec 118 membres d’équipage dans la mer de Barents, a envoyé un navire océanographique pour venir en aide à l’Argentine.

Sur la base navale de Mar del Plata, des photos des 44 membres de l’équipage et des centaines de messages de solidarité sont accrochés aux murs. « Adieu mon amour », dit une pancarte écrite par Jessica Gopar, mère d’un petit garçon d’un an et épouse de Fernando Santillo, électricien à bord du San Juan.