« Vous allez voir, c’est poussiéreux à l’intérieur. Désolé pour vos chaussures », prévient Bartholomew Wander, porte-parole de Defacto, l’établissement public qui gère la Défense. Nous sommes sous la dalle du quartier d’affaires, le long d’une sinistre route souterraine. Deux gardes de sécurité déverrouillent une porte métallique. De l’autre côté, des projecteurs de chantier permettent peu à peu de comprendre que l’on se trouve dans une gigantesque salle abandonnée, aux murs couverts de graffitis. Inutilisé depuis la création de la Défense, le lieu de 6 400 m2 avec 12 m de hauteur sous plafond a gagné chez les initiés un surnom : la « cathédrale engloutie ».

Le plus grand quartier d’affaires d’Europe recèle, dans ses profondeurs, d’autres friches secrètes. En grimpant un escalier métallique, on parvient, par exemple, dans une salle de 3 000 m2, baptisée « Le Bassin », où traînent quelques sacs et un chariot. Plus loin, on tombe sur un atelier de 2 500 m2 avec 18 m de hauteur sous plafond, jadis utilisé par l’artiste français Raymond Moretti (1931-2005). Au milieu trône une sculpture monumentale inachevée, Le Monstre, qui grogne à chaque passage du RER.

« Le Monstre », œuvre inachevée de l’artiste Raymond Moretti / Adrien Teurlais pour Defacto

Attirer un nouveau public à la Défense

Ces espaces, ainsi qu’une vaste « gare fantôme », seront bientôt proposés à l’appétit des aménageurs, qui pourront y inventer de nouveaux usages : salle de concerts, salle de sport, cinéma, espaces de travail partagé, galerie d’art, restaurant… Depuis 2015, Defacto a lancé un plan de reconquête des surfaces sous la dalle. Au total, 50 000 m2 ont été identifiés – quelques parkings, mais surtout d’immenses « volumes résiduels », sans aucun usage particulier, casés entre des voies de transport, des plates-formes logistiques ou des tunnels pour accéder aux tours. L’établissement gestionnaire du quartier, engagé dans une fusion avec l’Etablissement public d’aménagement de la Défense Seine Arche, garde la propriété des sites, mais propose aux promoteurs « des conditions et une durée d’exploitation permettant de rendre l’investissement attrayant », estime Batholomew Wander.

Pour Marie-Célie Guillaume, la directrice générale de Defacto, l’enjeu est clair : il faut s’appuyer sur ces espaces pour changer le visage de ce quartier mal-aimé. Pour elle, les sous-sols sont les leviers qui permettront d’attirer, à la Défense, « les jeunes, les start-up, les créatifs », pour y travailler, mais aussi pour s’y distraire, sortir le soir, etc. Le tout dans de nouveaux lieux.

Un impératif d’autant plus important que ces sous-sols sont souvent le premier contact des visiteurs avec le quartier d’affaires. « Quand un investisseur ou un patron étranger arrive à la Défense en voiture, sa première vision, ce sont ces tunnels pas très séduisants sous la dalle », constate Marie-Célie Guillaume. Comprenez : des espaces vieillissants en béton, avec néons, carrelage et une ambiance de parking.

Il s’agit aussi d’adapter le quartier d’affaires aux nouveaux modes de travail, plus nomades, plus horizontaux. Une gageure pour la Défense, né dans les années 1960, qui incarne la verticalité des relations de pouvoir et a été pensé dans un esprit de séparation fonctionnelle entre travail et habitation.

L’Alternatif a ouvert fin septembre à la Défense

Fin septembre, un premier lieu symbolique de ce changement a ouvert dans un parking souterrain géré par Indigo. Coût de l’investissement : 5 millions d’euros. Cette surface de 1 600 m2, baptisée « L’Alternatif », abrite un café, un espace de travail partagé, une galerie d’art et une salle de conférences. Loin du style « corporate » de rigueur dans les tours, on y trouve une décoration très start-up : parquet, canapés rétro bleu turquoise, plantes vertes, flamants roses en plastique et chaises dépareillées.

D’autres projets sur les rails

L’endroit semble apprécié des patrons. PSA y a fait venir, mi-novembre, ses cadres dirigeants pour un séminaire sur les nouvelles mobilités. « Ce lieu permet d’incarner l’esprit de disruption, recherché par de nombreuses entreprises », avance Didier Gouband, président de la société Culture et patrimoine, qui assure la gestion de L’Alternatif. Depuis l’ouverture, une dizaine d’entreprises ont déjà loué l’espace.

La salle de conférences de L’Alternatif / Alexinho Moujeolle

D’autres projets sont déjà sur les rails. En 2018, une structure à 5 millions d’euros à demi enfouie, baptisée « Oxygen », comprendra un espace de travail partagé, un restaurant de « burgers bio » et une salle événementielle. En 2019, c’est un grand espace à 20 millions d’euros, Table Square, qui devrait ouvrir ses portes sous la dalle, avec des kiosques servant différents types de cuisine et un accès vers l’extérieur.

Mais, avant que ces sous-sols ne soient synonymes de renaissance pour la Défense, il faudra sans doute du temps. En plus du manque de luminosité naturelle (même si la dalle, construite à une dizaine de mètres au-dessus du sol, offre quelques percées), « il reste compliqué d’amener du public en sous-sol, les normes sont extrêmement contraignantes », regrette Marie-Célie Guillaume.

A L’Alternatif, cela s’est traduit par des discussions serrées avec la brigade des pompiers et des sueurs froides, lorsqu’il a fallu découper une poutre supportant 1 000 tonnes. Les aménageurs ont aussi passé beaucoup de temps sur les lumières et l’acoustique. Pas facile de faire oublier au visiteur qu’il se trouve sous une dalle en béton.