Le départ sera un moment stratégique de la descente des skieurs français, samedi 25 novembre à Lake Louise. / EMMANUEL DUNAND / AFP

Le 13 novembre, le skieur français David Poisson mourait lors d’une chute accidentelle à l’entraînement, sur la piste de Nakiska, au Canada. Douze jours plus tard, à 130 km de là, huit de ses coéquipiers, membres de l’équipe de France de descente, s’apprêteront à s’élancer du haut de la pente de la petite station canadienne de Lake Louise, pour la première course de la saison.

Après des entretiens individuels avec le directeur technique national, Fabien Saguez, et le directeur des équipes de France masculines, David Chastan, ils ont tous choisi de prendre le départ. Samedi 25 novembre, à partir de 12 h 15 (20 h 15, heure de Paris), Nils Allègre, Matthieu Bailet, Johan Clarey, Guillermo Fayed, Nicolas Raffort, Maxence Muzaton, Brice Roger et Adrien Théaux devront faire abstraction de ces circonstances tragiques durant un peu moins de deux minutes.

Dès le lendemain du drame, la Fédération française de ski a organisé pour ses athlètes une visioconférence avec une psychologue spécialisée dans les situations de crise. Puis, durant quelques jours, le groupe de vitesse, encadré par les responsables fédéraux, s’est isolé du reste du monde.

« Il n’y a pas de recette pour gérer la mort d’un coéquipier »

Depuis lundi, une psychologue a été mise à la disposition des descendeurs sur place. S’ils pratiquent un sport individuel, les skieurs sont très soudés : ils vivent presque toute l’année ensemble, au sein d’un collectif. « Le groupe vit bien, même s’il y a évidemment des hauts et des bas. Il y a l’appréhension du départ. La psy est là pour aider les gars qui en sentiront le besoin », explique David Chastan.

Le départ constitue un moment particulier de la descente, avec une pente qui peut s’incliner jusqu’à 45 degrés. Les descendeurs, qui atteignent des vitesses folles (de 140 à 150 km/h), ont besoin d’un total abandon de soi pour affronter ces dénivellations vertigineuses. Pas de place pour la gamberge. « Sur la ligne de départ, le plus important est que le skieur pense à son job, à ce qu’il doit faire. Il doit se focaliser sur les solutions plutôt que sur les problématiques », avance la Canadienne Heidi Malo, préparatrice mentale spécialisée dans les sports de glisse.

La météo capricieuse sur l’Alberta a malheureusement provoqué l’annulation des entraînements deux jours de suite, privant les skieurs de répétition du départ en conditions de course. « On est un peu dans l’inconnu. On ne sait pas comment les garçons vont aborder la chose. L’idéal aurait été de faire trois entraînements. Mais j’ai confiance en eux, je sais que leur instinct de compétiteurs va naturellement revenir à l’instant T. Ils sont habitués à ces sensations et connaissent les risques liés à leur passion », dit David Chastan.

Hommage à David Poisson le 22 novembre à Lake Louise. / SERGEI BELSKI / USA TODAY Sports

A Lake Louise, tous les skieurs du circuit logent dans le même hôtel, ce qui permet aux Tricolores de croiser d’autres visages. Mercredi 22 novembre, tout le monde s’est d’ailleurs réuni pour une cérémonie d’hommage à David Poisson. Même s’ils n’auront eu la possibilité de se livrer qu’à un seul entraînement complet, les skieurs français ont ainsi pu replonger dans l’ambiance d’une manche de Coupe du monde.

« Le mot peur est tabou dans notre sport »

De quoi les aider à se reconcentrer sur l’enjeu sportif et sur cette première descente officielle de la saison. « Lors de cette journée de compétition, certains des skieurs français vont ressentir un grand vide, rappelle Heidi Malo. Dans de tels moments, ceux qui sont plus dans l’émotion peuvent être moins clairs sur leurs objectifs. Les autres, qui préfèrent ne pas trop y penser, vont plutôt se mettre en mode pilote automatique. Chacun est différent et il n’y a pas de recette pour gérer le décès d’un coéquipier. »

Face à une telle situation, la préparatrice mentale met en avant une préconisation : « J’encourage les sportifs qui traversent un deuil à vivre leurs émotions. On peut par exemple choisir un moment dans la journée pour le faire. Mais idéalement, sur la neige, il faut se replonger dans sa concentration pour limiter le plus possible le risque. »

La descente peut être considérée comme l’un des premiers sports extrêmes. Sur les douze skieurs alpins professionnels morts à l’entraînement ou en course depuis 1959, la plupart étaient des descendeuses et des descendeurs. Ces champions doivent pourtant tout faire pour éviter de penser au pire.

Luc Alphand, dernier vainqueur français de la Coupe du monde, en 1997, résume ce dilemme sur Eurosport : « La peur. Ce mot est tabou dans notre sport. Pourtant, chaque coureur a des périodes où il est moins bien physiquement et où il ressent de la peur. Ces périodes, c’est au skieur de les gérer. Il faut prendre sur soi. C’est un sacré travail mental. »

A Lake Louise, les huit descendeurs français n’auront pas le choix : ils doivent tout faire pour rayer la peur de leur vocabulaire et de leurs pensées.