LES CHOIX DE LA MATINALE

Au menu cette semaine, une série d’Arte consacrée aux rouages du marketing ; un téléfim dont le personnage principal est un homme qui veut devenir femme et un documentaire sur les jeunesses hitlériennes.

« #Propaganda », le marketing et ses supers-pouvoirs d’achat

Le site d’Arte, Arte.tv, vient de lancer une websérie aussi amusante qu’éclairante, #Propaganda, sur les stratégies mises en place par les grands groupes pour façonner nos désirs, quitte à manipuler l’Histoire ou nos souvenirs. Tout cela afin de mieux nous vendre le dernier iPhone ou nous convertir en chercheurs de Pokémon…

A partir d’images détournées, Léo Favier, crédité à l’écriture et à la réalisation, décrypte donc, en dix épisodes de cinq à six minutes, les tactiques utilisées pour capter notre attention et nous vendre toujours plus. Dans le deuxième volet, il montre comment la marque Levi’s a inversé les concepts de mythe et d’autofiction développés par Roland Barthes afin de créer une mythologie associant l’apparition du 501 à la fondation des Etats-Unis. Ce « storytelling », commente-t-il, vise à « fidéliser les comportements d’achat et à ­engager le consommateur dans une relation émotionnelle, donc durable, avec cette marque. (…) Avec ce pantalon, on fera partie d’un mythe, et ça, ça n’a pas de prix. »

Le septième volet met en avant la recherche de « leaders d’opinion » que menèrent les cigarettiers pour endiguer la baisse de leurs ventes et inciter les femmes à fumer. Ou comment faire passer une cigarette, associée à la masculinité, pour un « outil d’émancipation », voire une « torche de la Liberté »Martine Delahaye

« #Propaganda », créée et réalisée par Léo Favier (France, 2017, 10 × 6 min). Sur Arte.tv.

« L’Epreuve d’amour », enfermé dans le corps d’un autre

Après le viol, le harcèlement au travail, l’homosexualité, c’est la transidentité que met en scène ce nouveau téléfilm L’Epreuve d’amour. Une fiction à laquelle revient la lourde tâche de nous sensibiliser à ce sentiment d’inadéquation que ressentent profondément (et souvent tragiquement) certains hommes et certaines femmes, entre leur corps et le sexe qui leur est assigné.

« Je ne suis pas dans le bon corps. Je n’en peux plus de mentir. Je ne suis pas Paul, je hais ce mec. Chaque fois que je le vois dans la glace, j’ai envie de le tuer », explique Paul (Fred Testot) après que sa femme, Marielle (Marie-Josée Croze), l’a surpris habillé en femme. Paul, maquillé, en robe et hauts talons, apparaît d’emblée comme une figure en souffrance. Une figure qui demeure pétrifiée face à cette révélation à laquelle il soumet soudain, et malgré lui, la femme qu’il aime depuis vingt ans.

Le lent processus d’acceptation, les réactions de rejet des enfants et de la famille, les questionnements sur le devenir du couple et la peur qu’engendre de part et d’autre la réattribution sexuelle que souhaite entreprendre Paul… toutes ces questions inhérentes au sujet traité sont abordées. Elles le sont, certes, de manière un peu trop accélérée et donc un peu édulcorée. Mais elles le sont avec une telle justesse qu’elles légitimisent, comme une évidence, le propos du film.

Cela tient en grande partie aux dialogues de Julie Jezequel. Et à l’interprétation des deux acteurs principaux, Fred Testot et Marie-Josée Croze, dont la retenue résonne comme une déclaration de dignité. Véronique Cauhapé

« L’Epreuve d’amour », d’Arnaud Sélignac. Avec Fred Testot, Marie-Josée Croze, Grégoire Plantade, Jeanne Guittet (Fr., 2017, 90 min). Sur Pluzz jusqu’au mercredi 29.

« Jeunesses hitlériennes, l’endoctrinement d’une nation »

Jeunesses hitlériennes, l'endoctrinement d'une nation
Durée : 01:46

Comment peut-on (se) tuer pour une cause ? Quels sont les mécanismes pour endoctriner une ­nation, plus spécifiquement sa jeunesse ? Ces questions traversent le remarquable documentaire de David Korn-Brzoza dont on ­saluera la singularité de l’approche, la rigueur ainsi que les qualités d’écriture et les ­témoignages aussi glaçants qu’émouvants.

Auteurs déjà de nombreux films sur la période, David Korn-Brzoza poursuit l’exploration du régime nazi à travers le mouvement des Jeunesses hitlériennes, qui compta près de 9 millions de membres en 1939. Le documentariste détaille les ressorts de l’endoctrinement, entre séduction (camps d’été, uniformes, défilés…) et menace (inscription obligatoire), ainsi que la façon dont les nazis éloignent dès le plus jeune âge les enfants de l’influence de l’Eglise et de leur famille. Sans parler de l’école, qui inocule dans les esprits la haine du juif et du bolchevique.

Pour mieux appréhender de ­l’intérieur les différentes étapes de cet embrigadement, David Korn-Brzoza donne la parole à d’anciens Hitlerjugend. Parmi les récits de ces nonagénaires, qui ne dissimulent rien du caractère séduisant de cette aventure collective ni de la honte et du remords qui les tiraillent aujourd’hui encore, le plus sidérant est celui de Salomon ­Perel : petit garçon, il est arrêté par les nazis et parvient à se faire passer pour un orphelin allemand. Avant d’intégrer les Jeunesses hitlériennes et d’être « happé » par l’idéologie nazie, « au point, dit-il, d’en oublier qu’il était juif ». Christine Rousseau

« Jeunesses hitlériennes, l’endoctrinement d’une nation », de David Korn-Brzoza (Fr., 2017, 120 min).