Une image de propagande de l’EI. / HO / AFP

Le « califat virtuel » serait-il en déshérence ? La machine propagandiste qu’avait mise en place l’organisation Etat islamique (EI) péricliterait-elle au même rythme que l’« Etat » territorial construit par le groupe djihadiste dans la zone irako-syrienne ? Si l’on ne se fie qu’à la quantité et à la fréquence de contenus de propagande que le groupe est capable de produire à destination d’un public qu’il espère large, la réponse serait oui.

Une analyse en graphiques publiée par la BBC le 24 novembre confirme une baisse quasi continue de l’activité en ligne publique de l’organisation djihadiste depuis un an. Pour la première fois, les publications de l’EI sur ses chaînes de propagande hébergées sur l’application Telegram ont en outre été interrompues pendant plus de 24 heures entre mercredi 22, vers 9 heures, et jeudi 23 novembre, 11 heures (heure française).

Ce 22 novembre, l’EI a même « zappé » son émission quotidienne, un compte rendu (audio et écrit) de ses activités militaires à travers ses « provinces ». L’organisation s’est contentée de rendre hommage à un combattant tadjik et de revendiquer l’assassinat, par un sniper, d’un membre de la police fédérale irakienne au nord de Bagdad.

« Infrastructure » conséquente

Techniquement, le groupe djihadiste peut toujours revendiquer une « infrastructure » conséquente en ligne. Sur le réseau Telegram, par exemple, plusieurs centaines de chaînes dites « officielles » sont toujours actives. Mais ce chiffre est à relativiser au regard du nombre de contenus diffusés sur ce canal.

Une dizaine ont par exemple été mis en ligne le 23 novembre : le bulletin d’informations quotidien, une vidéo de sa branche afghane, un reportage photos et quelques communiqués. Un mois plus tôt, jour pour jour, l’EI n’avait publié en tout et pour tout que cinq contenus ; c’était une semaine après la chute de son fief, Rakka.

Entre ces deux dates, le rythme a été de 5 à 17 publications quotidiennes. A comparer avec les 200 vidéos, documents audio, communiqués, journaux… mis en ligne chaque semaine au printemps et à l’été 2015 (une cinquantaine de contenus quotidiens en août 2015, par exemple).

Nette décrue

En novembre 2015, l’EI se félicitait d’avoir mis en ligne, sur une année, « 717 vidéos, 1 787 reportages photos, 14 523 images en tous genres, 58 chants… » Un an plus tard, la production avait plongé à un premier niveau historiquement bas : en octobre et novembre 2016, l’offensive terrestre contre Mossoul, capitale du « califat » de l’EI, avait été déclenchée et, avec elle, des frappes aériennes visant les infrastructures de sa branche média et propagande.

Si, au plus fort de la bataille de Mossoul, en février, le groupe s’est ressaisi, à partir du printemps, la production s’est effondrée à nouveau. En mai, l’EI a perdu une partie de ses infrastructures, repliées dans la vallée de l’Euphrate. Le fondateur de son agence de propagande, Amaq, a été tué à la fin du mois dans la ville syrienne d’Al-Mayadin.

A partir de juillet, la reprise de Mossoul par les forces gouvernementales irakiennes a accéléré la décrue, avec une moyenne de 15 à 20 contenus publiés par jour. Puis deux fois moins depuis la chute, mi-octobre, de sa « capitale » syrienne, Rakka.

Vendredi 24 novembre au matin, l’EI a débuté la journée avec la mise en ligne du 107numéro de son hebdomadaire, Al-Naba, dont il parvient à maintenir le rythme de publication. Son magazine multilingue et mensuel Rumiyah n’a plus paru, lui, depuis septembre. La propagande des « provinces éloignées » (l’Egypte, la Libye, le Sahel, l’Afghanistan, etc.) est également affectée. Le groupe a peu communiqué sur les combats menés par sa branche philippine dans la ville de Marawi, entre mai et octobre, quand la Libye a quasiment disparu des radars.

Incapacité, faute de « main-d’œuvre », à assurer une publication régulière ? Volonté de protéger les djihadistes étrangers survivants ou en fuite, impliqués dans l’élaboration de contenus en plusieurs langues ? Des sources sécuritaires font part au Monde de la « satisfaction » des services américains qui, depuis janvier – c’est-à-dire assez tardivement –, se sont lancés dans des opérations d’infiltration et d’intoxication en ligne visant l’appareil de propagande de l’EI. Des opérations qui auraient mené à la localisation et à la mort de plusieurs activistes du groupe.

Interactions derrière les écrans

Pour autant, une simple comptabilité de contenus hébergés sur Telegram reflète-t-elle l’impact de la propagande du groupe sur le public auquel il s’adresse ? Peut-on mettre sur le même plan une image publiée avec les 16 pages d’Al-Naba ou les 45 minutes du dernier discours d’Al-Baghdadi, le chef de l’organisation ?

« Ce document audio a beaucoup plus d’importance qu’une simple image ou un reportage photo aux yeux des sympathisants et activistes de l’EI », remarque le chercheur Ali Fisher, du blog de recherches Onlinejihad, qui se méfie des approches quantitatives : « Comprendre l’écosystème de l’information [djihadiste] ne se limite pas à scruter ce qui est apparent (…). Il s’agit de comprendre la manière dont les humains interagissent derrière les écrans et les contenus qu’ils se partagent. »

Autrement dit, ce n’est pas tant le nombre, mais le type de messages que l’EI cherche à transmettre à son public qui doit être scruté. Même si, par effet mécanique, une activité moins soutenue sur les réseaux entrave ses chances de s’adresser à des sympathisants en ligne.

Enfin, certains réseaux de l’EI n’ont nul besoin de s’appuyer sur un avatar virtuel. Le massacre de Bir Al-Abed, en Egypte, au cours duquel 305 personnes ont été tuées, vient de cruellement le rappeler.