Le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, et le chef de file du SPD, Martin Schulz, le 24 novembre à Berlin. / BPA / REUTERS

Depuis l’échec des pourparlers entre conservateurs (CDU-CSU), libéraux (FDP) et écologistes, dimanche 19 novembre, le mot-dièse #jamaika – en référence aux couleurs associées à ces trois formations politiques – est en perte de vitesse sur les réseaux sociaux allemands. Un autre l’a supplanté : #GroKo, abréviation de « Grosse Koalition », l’expression qui désigne, outre-Rhin, un gouvernement associant la CDU-CSU au Parti social-démocrate (SPD).

Cette « grande coalition », le président de la République, Frank-Walter Steinmeier, la souhaite ardemment : c’est à cette fin qu’il réunira les chefs des trois partis concernés, Angela Merkel (CDU), Horst Seehofer (CSU) et Martin Schulz (SPD), jeudi 30 novembre, dans son bureau du château de Bellevue, à Berlin. M. Steinmeier, qui fut lui-même ministre des affaires étrangères (SPD) dans les deux « grandes coalitions » déjà dirigées par Mme Merkel (de 2005 à 2009, puis de 2013 à janvier de cette année), attend beaucoup de cette rencontre. En cas d’échec, il ne resterait que deux options : la mise en place d’un gouvernement minoritaire, donc potentiellement instable, ou la tenue de nouvelles élections, qui pourraient donner lieu à une nouvelle poussée de l’extrême droite. Deux scénarios qu’il veut absolument éviter.

« Roue de secours »

Une nouvelle « grande coalition », donc. Mais à quel prix ? C’est toute la question. Vendredi 24 novembre, après une nuit de débats, la direction du SPD a annoncé que le parti n’était plus « fermé à la discussion » avec la CDU-CSU. Pour faire accepter ce revirement à leurs adhérents, à qui ils n’avaient cessé d’expliquer, depuis les législatives perdues du 24 septembre, qu’il n’était plus question pour eux de gouverner avec les conservateurs, les dirigeants du SPD savent qu’ils doivent se montrer offensifs. « Nous ne serons pas la roue de secours d’une chancelière qui a échoué », a prévenu Andrea Nahles, la présidente du groupe SPD au Bundestag, lors du congrès des Jusos (jeunes socialistes), samedi, à Sarrebruck.

Avant même que les pourparlers n’aient officiellement commencé, plusieurs responsables sociaux-démocrates ont d’ores et déjà fait la liste des mesures qu’ils souhaitent voir figurer dans un éventuel « contrat de coalition ». Parmi elles, l’introduction d’une « assurance citoyenne » financée par tous les contribuables pour réduire les inégalités en matière de remboursements des soins médicaux, une augmentation de la fiscalité sur les plus hauts revenus, ou encore un plan d’investissements de plusieurs dizaines de milliards d’euros dans les domaines de l’éducation et du logement.

En face, les réactions n’ont pas tardé. Tout en estimant qu’une « grande coalition » serait « la meilleure option pour l’Allemagne », le président de la CSU bavaroise, Horst Seehofer, s’est inquiété, dimanche, dans le quotidien Bild, des « revendications démesurées » du SPD. « Nous n’acceptons pas le chantage. Si le SPD pense que nous sommes prêts à faire une grande coalition à n’importe quelle condition, il se trompe », a assuré dans le Spiegel le président de la Junge Union (jeunes conservateurs), Paul Ziemiak, considéré comme l’une des étoiles montantes de la CDU.

Angela Merkel, le 27 novembre à Berlin. / HANNIBAL HANSCHKE / REUTERS

Fidèle à son habitude, Mme Merkel s’est gardée de tout propos pouvant compromettre les négociations. Comme elle l’avait fait pendant les discussions avec le FDP et les Verts, elle s’est contentée d’insister, samedi, lors d’une réunion de la CDU à Kühlungsborn, dans son fief électoral du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, sur la nécessité de « dégager un compromis » afin de « former très rapidement un gouvernement qui ne soit pas seulement chargé d’expédier les affaires courantes ». Dimanche soir, après plus de quatre heures de discussion à huis clos au siège de la CDU, à Berlin, la direction du parti conservateur a entériné la décision de sa présidente de se lancer dans des négociations avec le SPD.

« Budget en équilibre »

A l’orée de ces nouveaux pourparlers, Mme Merkel a donné ses instructions. Si elle a elle-même rappelé son attachement à quelques principes, comme la nécessité de « maintenir un budget en équilibre », ainsi que sa volonté de ne pas détricoter l’accord difficilement trouvé avec la CSU concernant la fixation d’un plafond de 200 000 réfugiés autorisés à venir chaque année en Allemagne, elle a en revanche demandé à ses lieutenants de ne pas se livrer à une surenchère risquant de faire échouer les discussions.

Face à un SPD qui pourrait être tenté de « tracer des lignes rouges », « il ne serait pas malin d’agir pareillement de notre côté », a ainsi prévenu M. Günther, dimanche soir. Il s’agissait d’un avertissement à ses collègues de l’aile droite de la CDU, qui avaient multiplié, durant le week-end, les déclarations en forme d’ultimatum visant à expliquer que les négociations devaient s’achever « à Noël au plus tard ». Un délai intenable, selon le ministre conservateur de l’intérieur, Thomas de Maizière, selon qui les négociations avec le SPD ne pourront vraisemblablement pas commencer avant les tout premiers jours de 2018. Ce qui signifierait, au mieux, que le prochain gouvernement ne pourrait être investi avant le mois de février.