Yannick Noah, capitaine de l’équipe de France de tennis, le 26 novembre, à Lille. / DENIS CHARLET / AFP

Cette fois, pas de Saga Africa. Juste une Marseillaise entonnée puis braillée par le capitaine dans un stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d’Ascq (Nord) déjà vidé pour moitié. La victoire n’a pas le panache de celle de 1991 ni la dramaturgie de 1996, et pourtant, Yannick Noah la partage avec la même euphorie, en ce dimanche 26 novembre. Lucas Pouille, vainqueur de Steve Darcis dans un cinquième match à sens unique (6-3, 6-1, 6-0), vient d’apporter le point décisif à son équipe en finale face à la Belgique, offrant à la France la dixième Coupe Davis de son histoire. La troisième avec Yannick Noah aux commandes.

En 1991, à Lyon, Henri Leconte et Guy Forget avaient réalisé le hold-up face aux Etats-Unis de Pete Sampras et Andre Agassi. Cinq ans plus tard, à Malmö (Suède), la France avait renversé la Suède de Stefan Edberg au terme d’une dernière journée au suspense inouï. Cette fois, il n’y eut même pas besoin d’un exploit. « On a vécu une semaine de malade. Je n’ai jamais chialé autant, je n’ai jamais vu autant de larmes, de douleur… A la fin, quand tu vis ce truc-là et que tu gagnes, tu te dis que ça vaut la peine », commentait le capitaine français à chaud.

Drôle de scénario que cette victoire acquise au terme d’un week-end où la logique du classement fut à chaque fois respectée et où le meilleur joueur n’était pas celui qui a brandi le trophée. L’homme de la finale s’appelle David Goffin, et il est belge. Il a d’abord battu Lucas Pouille vendredi (7-5, 6-3, 6-1), puis Jo-Wilfried Tsonga dimanche (7-6, 6-3, 6-2), jouant le meilleur tennis de sa vie. Mais il ne pouvait vaincre à lui seul. Et c’est finalement l’équipe la plus homogène des deux qui s’est imposée.

« Mettre fin à cette vague de lose »

Le double, samedi, a fait la différence. A la veille des hostilités, le capitaine avait stupéfié le microcosme tennistique en écartant Nicolas Mahut et Julien Benneteau, leur préférant Richard Gasquet et Pierre-Hugues Herbert, quand bien même les deux joueurs n’avaient jamais disputé le moindre match du même côté du filet. L’effet Noah ? Seulement en partie. La prise de risque était réelle. Mais au vu du niveau de jeu affiché par la paire belge, il serait excessif de crier au génie.

Cette campagne restera comme l’histoire d’un sacre sans victoire d’éclat, sans match référence. Pour se hisser en finale, les Bleus ont eu à se défaire de nations privées de leurs plus vaillants porte-drapeaux : le Japon sans Kei Nishikori, la Grande-Bretagne sans Andy Murray et la Serbie sans Novak Djokovic. C’est aussi ça, la Coupe Davis, épreuve surannée où aucun scénario n’est jamais écrit d’avance. Dans quelques années, chacun aura sans doute oublié la manière. Pour ne retenir qu’une chose : avec cette conquête d’un dixième saladier d’argent, c’est encore Yannick Noah qui fait gagner le tennis français. Seize ans que le pays attendait un nouveau trophée…

Quand il revient aux affaires, en septembre 2015, le dernier vainqueur français en Grand Chelem, dit avoir un « plan » pour « mettre fin à cette vague de lose autour de l’équipe ». Dimanche soir, aux côtés de l’ensemble des joueurs qui furent de la campagne – Tsonga, Gasquet, Pouille, Herbert, Mahut, Benneteau mais aussi Gilles Simon et Jérémy Chardy –, il a repris ce refrain : « Quand tu ne gagnes pas pendant seize ans, tout le monde s’habitue à perdre. J’avais oublié ça. Enfin, je n’avais jamais ressenti ça. En demie [face aux Serbes, mi-septembre], ça m’a défoncé la gueule, cette culture de la lose. C’est dur, la culture de la lose ! », a-t-il insisté dans un long monologue, de sa voix suave et traînante.

Faire gagner une génération

Yannick Noah a donc réussi là où ses prédécesseurs avaient échoué. A faire gagner une génération – celle des Tsonga, Gasquet, Simon, et dont le grand absent cette année aura été Gaël Monfils – qui trébuchait systématiquement depuis une dizaine d’années. Jusqu’alors, l’histoire de ces quatre-là avec la Coupe Davis avait été rythmée par des psychodrames (fuite en avant à Buenos Aires, en 2013, zizanie à Londres, en 2015), des désillusions (finales perdues contre la Serbie, en 2010, puis contre la Suisse, en 2014), voire des tragi-comédies (Zadar – Croatie –, en 2016, où Gaël Monfils déclara étrangement forfait).

La France a remporté la Coupe Davis face à la Belgique, dimanche 26 novembre, à Lille. / PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Ce succès effacera peut-être en partie le désamour ressenti depuis longtemps autour de ces joueurs, trop tôt baptisés les « nouveaux mousquetaires », un surnom « assez grotesque », concédait Richard Gasquet dimanche soir. « Ça fait du bien de gagner. J’ai un peu atteint le summum, estimait pour sa part Jo-Wilfried Tsonga. J’ai toujours été catalogué comme un joueur qui ne gagne pas, surtout en France. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai gagné la Coupe Davis, c’est déjà pas mal. »

Faut-il y voir un ultime pied de nez ? Ce n’est pas l’un d’eux, mais le jeune Lucas Pouille, 23 ans, intégré dans le groupe il y a un an et demi, qui a apporté le point de la victoire.

« J’y vais avec mon cœur et mes tripes »

Longtemps, le capitaine a cru que sa mission serait une sinécure. Mais depuis son arrivée, tout Yannick Noah qu’il est, il s’est heurté aux mêmes énigmes et incompréhensions que Guy Forget et Arnaud Clément, ses prédécesseurs. Du temps des Forget et Leconte, il était à la fois leur grand frère, leur psychologue, leur sergent-chef. Les joueurs adhéraient à sa cause. Vingt ans plus tard, à 57 ans, l’homme providentiel a dû reconnaître qu’il ne maîtrisait plus grand-chose. La demi-finale face à la Serbie en fut une illustration notoire : anormalement éteint sur le banc, il avait concédé ne pas avoir réussi à communiquer avec ses joueurs.

Vendredi, lors des deux premiers simples de la finale, il était encore en retrait. Avant que la victoire en double de Richard Gasquet et Pierre-Hugues Herbert face à la paire Bemelmans-De Loore ne le ranime soudainement. On le vit alors à nouveau le poing serré, le regard habité, renouant le dialogue avec les joueurs.

« J’y vais avec mon cœur et mes tripes, car le tennis d’aujourd’hui, ce n’est pas du tout celui que j’ai connu, acquiesça-t-il. [En 1991 et 1996], j’avais joué tous les gars qu’on affrontait. Là, j’arrive vingt ans après, et la plupart des joueurs qu’on affronte, il faut qu’on me donne des vidéos pour que je me rappelle juste la tronche qu’ils ont et voir comment ils jouent. » Noah le vieux sage s’est alors dit qu’il valait mieux user de sa bonne vieille méthode : l’instinct. La seule qui survive aux années.