Capture d'écran du compte Instagram officiel du pilote français de F1 Pierre Gasly. / CAP

Sur son tee-shirt est écrit « Impossible n’est pas français ». Pierre Gasly pose sur la plage, entouré d’une joyeuse bande de copains. La photo, postée le 14 août sur son compte Instagram, n’a généré que vingt-trois commentaires. Qui connaît alors Pierre Gasly ?

Trois mois plus tard tout a changé. Après avoir couru son premier Grand Prix, en Malaisie, le 1er octobre, et disputé cinq courses, il a été confirmé, le 16 novembre, comme titulaire chez Toro Rosso pour la prochaine saison de formule 1, au côté du Néo-Zélandais Brendon Hartley. De quoi donner des ailes au jeune pilote aux yeux bleus, qui doit reprendre le volant mercredi 29 novembre à Abou Dhabi pour des essais privés en vue de la saison 2018.

Pierre Gasly invité du 19|20 de France 3 Normandie
Durée : 02:49

« Je savoure chaque instant de bonheur », assure-t-il du haut de ses 21 ans. Entre un avion en provenance du Japon et un départ pour l’Angleterre, Pierre Gasly reçoit, au début d’octobre, dans la maison familiale de Bois-Guillaume, sur les hauteurs de Rouen. Il a fait sienne cette maxime que l’on prête à Napoléon : « Impossible n’est pas français, j’ai trouvé ça bien, vrai et fort », explique le jeune homme, vêtu d’un jean noir déchiré au genou.

C’est ici, entre près et forêt, qu’il a bâti son « projet de vie ». « C’est à l’âge de 9 ans, sur la piste de kart d’Anneville-Ambourville [près de Rouen], que j’ai vraiment commencé à croire que je serais un jour pilote de formule 1. » L’année suivante, il se classe 5e en championnat national de mini-kart, devançant un autre bambin de son âge, lui aussi normand et qui le précédera d’un an en F1, Esteban Ocon.

Chez les Gasly, on « aime la bagnole »

Entre les peintures de l’artiste Daniel Authouart, les collages de Pascale, la maman, qui customise des photos de course automobile au pinceau, et la plaque de la route 66, pas de doute : chez les Gasly, on « aime la bagnole ». Sur les quatre grands frères du pilote, trois font du karting régulièrement, et tous exercent un métier choisi par passion. Comme cela, « ce n’est pas vraiment du travail, les efforts sont plus faciles », explique Jean-Jacques Gasly, le père. Alors quand, à 6 ans, le petit Pierre a demandé quelles études il fallait suivre pour devenir pilote de F1, ils se sont à peine inquiétés.

Tableau réalisé par Pascale Gasly, mère de Pierre, champion 2015 en GP2 (devenu formule 2). / COLL. PARTICULIÈRE

Résumée, la carrière de Pierre Gasly semble aller de soi. Il poursuit le kart pour conclure en 2010 par le titre de vice-champion européen CIK-FIA. Il part en 2011 en formation à l’Auto Sport Academy du Mans puis passe dès 2012 au niveau européen, en formule Renault 2.0. Remarqué, grâce à la Fédération française de sport automobile, par Red Bull, il intègre la junior team de la marque de boissons énergétiques en 2014 et termine vice-champion de formule Renault 3.5.

Pilote réserve Red Bull depuis 2015, champion 2016 de Grand Prix 2, il est embauché par l’écurie Toro Rosso, qui appartient à Red Bull, à la fin de septembre, pour finir la saison 2017. Seule entaille au contrat, il fait l’impasse sur le Grand Prix des Etats-Unis, le 22 octobre, pour tenter de conquérir le titre de Super Formula – le championnat japonais de F1 – qui lui tend les bras, un demi-point le séparant du leader au classement général. Las, un typhon le privera du rendez-vous final : il ne sera « que » vice-champion.

Intégrer l’élite mondiale des pilotes nécessite de gros efforts et des sacrifices. Scolairement, la période kart fut la plus dure pour le jeune Pierre. Moralement, ce fut le départ pour Le Mans qui fut le plus éprouvant. « J’ai fait des sacrifices, comme partir d’ici à 13 ans, admet-il. J’ai quitté un certain confort, matériel et affectif. Mais si je ne faisais pas tout mon possible pour y arriver, tout ce que l’on avait fait avant ne servait à rien. »

La fédération française a anticipé le problème : chaque apprenti pilote est suivi par une psychologue, que Pierre Gasly consulte toujours régulièrement : « Elle sait bien si je vais dans le bon chemin ou si je dois être recadré. »

Pas le temps de se poser

Le Normand apprend vite et décroche son bac ES « avec mention ». Un diplôme exigé pour rejoindre Red Bull, qui l’attend. Il part alors pour l’Angleterre, où Helmut Marko, le patron de Red Bull à la réputation terrifiante, sélectionne les jeunes pilotes pour sa junior team. « Je pense qu’il est difficile pour les gens qui n’ont pas affaire à lui de réaliser à quel point il est dur, témoigne Pierre Gasly. Quand on gagne, c’est juste normal ; quand on ne gagne pas, c’est nul. Et il a une manière beaucoup plus “hard” de dire les choses ! Mais c’est pour faire avancer les gens. »

« Trajectoire », tome I de la BD retraçant la jeune carrière du pilote de F1 Pierre Gasly, sort en septembre 2013. Le tome II est prévu pour décembre. / DEPINAY / BOURGNE / ANBD

Derrière, les parents doivent assurer financièrement : la formule Renault, c’est un budget annuel de 450 000 euros. Même si les écuries et les sponsors en payent plus de la moitié, il manque 100 000 euros. Le conseil de famille a alors été convoqué et le plan retraite paternel sacrifié à l’unanimité. « S’il gagnait le championnat d’Europe, Pierre décrochait la bourse de 500 000 euros », rapporte Jean-Jacques Gasly. Ce qui fut fait. Impossible n’est pas Gasly.

C’est à ses parents qu’il a réservé le premier texto, le 26 septembre, quand il a appris qu’il allair courir en formule 1. L’accueil de ses pairs l’a touché. « Pierre le mérite, c’est un pilote très rapide », a déclaré Sebastian Vettel, à son arrivée. Fernando Alonso a tenu des propos similaires. « Deux champions du monde, souligne Pierre Gasly. Il y a dix ans, je les regardais à la télé avec de grands yeux et, aujourd’hui, je me retrouve parmi eux. »

Il vit désormais à leur rythme effréné, se jouant des décalages horaires. Pas le temps de se poser. Sauf à la faveur d’un retard d’avion, dans un aéroport. « Pour la première fois, il a parlé des moments forts de sa vie de pilote, de sa vie d’enfant, témoigne son père. Il s’est posé trois heures. Avant de tourner la page. »

Le prochain chapitre s’écrira en 2018, pour sa première saison complète en F1. « J’ai réalisé mon objectif, affirme Pierre Gasly. Maintenant il faut monter, pour un jour accéder au titre de champion du monde. »