Le lutteur iranien Alireza Karimi Machiani aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro, en août 2016. / JACK GUEZ/AFP

Aimer la défaite n’est pas donné à tout le monde. Le sport français et ses admirateurs ont ce goût du tragique : celui des abandons déchirants, des éternels seconds. Le coup de boule de Zinedine Zidane. Raymond Poulidor. En Iran aussi, on connaît ce lyrisme sacrificiel. Est-ce un héritage de la lamentation originelle du chiisme (branche de l’islam majoritaire en Iran), sur la mort de l’imam Hossein, le petit-fils du prophète Mahommet, à Kerbala, en 680 ? Le public iranien aime, peut-être plus que tout autre, voir ses colosses pleurer dans la poussière.

Voyez Alireza Karimi. « Perds, Alireza ! » Son entraîneur lui crie cela, depuis le banc. En se repassant l’enregistrement du combat, sur Youtube, on l’entend nettement. Le lutteur Alireza Karimi Machiani, jeune colosse aux grands yeux tendres, affronte le Russe Alikhan Zabraïlov à Bydgoszcz, en Pologne, samedi 25 novembre. A la quatrième minute, Alireza mène par trois points à deux : il a ses chances d’accéder aux quarts de finale du championnat du monde des moins de 23 ans, lutte libre, 86 kilos. Quand soudain : « perds, Alireza ! » (à 5’ sur la vidéo).

Alireza Karimi Asian Wrestling gold medal winner forced to fakes a loss
Durée : 07:05

Interruption du combat. Court conciliabule, et l’Iranien reprend la lutte, tête basse. Il s’effondre, concède douze points, n’en marque pas un et perd. Pourquoi ? Parce que s’il avait vaincu le Russe, s’il avait accédé aux quarts de finale, il lui aurait fallu affronter un lutteur israélien.

C’est un obstacle vieux comme la République islamique, qui ne reconnaît pas l’Etat hébreu : elle condamne donc toute rencontre entre ses athlètes et les Israéliens. Alireza Karimi se serait exposé à des sanctions en refusant simplement ce combat. Mieux valait qu’il se couche un tour plus tôt.

« Le silence est le dernier bastion »

Rien de neuf, donc, dans la défaite d’Alireza Karimi, sinon cette petite mécanique du tragique qui explose plus fort que d’habitude. Sur Twitter, le hashtag #youmustlose (« tu dois perdre » en anglais, décliné dans sa version persane, « bayad bebazi ») se répand. Certains, notamment des Iraniens de la diaspora, accusent les autorités de brider les carrières des athlètes nationaux. « Ne disent-ils pas qu’Israël est le mal ? Alors plutôt que de fuir, levons-nous, battons-nous et vainquons-les », lance l’un d’eux.

D’autres saluent l’abnégation d’Alireza Karimi. Ils ont commenté par milliers une vidéo postée par le lutteur, dimanche sur son compte Instagram. Le lutteur déambulait, la nuit, dans Bydgoszcz déserte – ou peut-être était-il déjà de retour en Iran ? Au micro de son téléphone, un chant mélancolique de Dariush Eghbali : « Le silence est le dernier bastion ; vous ne pouvez pas nous enlever nos droits. » Lundi, racontant sa défaite à l’agence Isna, il se remémorait le cri de son entraîneur : « En un instant, tout mon monde a semblé s’écrouler. »

La fédération iranienne de lutte et le ministère de la jeunesse et des sports ont salué le « sacrifice magnanime » consenti par le lutteur : « Votre action noble et héroïque (...) est une source de fierté pour la communauté sportive d’Iran », affirmait un communiqué. En Pologne, le Russe Zabraïlov a remporté l’or. L’Israélien Uri Kalachnikov finit troisième.