Manifestation contre le glyphosate, à Bruxelles, le 27 novembre. / Virginia Mayo / AP

C’est un double coup de théâtre qui a frappé le dossier du glyphosate lundi 27 novembre. D’abord, la décision européenne de renouveler l’autorisation de l’herbicide controversé pour cinq ans, due au vote inattendu de l’Allemagne. Ensuite, l’annonce de la France, opposée au choix de l’Union européenne, de se donner trois ans pour sortir du pesticide.

« J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans », a tweeté le président Emmanuel Macron, quelques heures après le vote européen.

Si cette interdiction est techniquement possible, elle exposerait Paris à des poursuites judiciaires de la part des fabricants de pesticides. Tout en faisant peser sur les agriculteurs français des risques de distorsion de concurrence, à leur désavantage, leurs homologues européens continuant d’utiliser ce produit.

  • La France a-t-elle le droit d’interdire le glyphosate ?

L’Etat français peut invoquer le principe de précaution — qui a une valeur constitutionnelle — pour interdire l’usage de produits contenant du glyphosate sur son territoire et ce alors que l’herbicide est autorisé au niveau européen, dit Me François Lafforgue, l’avocat de l’association Générations futures et de victimes de pesticides. Le règlement européen pesticides de 2009 le permet dans son article premier, « lorsqu’il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l’environnement que représentent des produits phytopharmaceutiques ». Or, la molécule de cet herbicide le plus utilisé dans le monde est classée « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un avis remis en cause par deux agences européennes.

Selon l’article 44, un Etat membre peut également retirer à tout moment une autorisation de mise sur le marché « lorsque les exigences ne sont plus respectées », notamment celles permettant de limiter les risques toxicologiques et environnementaux.

  • Comment Paris peut-il s’y prendre ?

Deux options s’offrent à la France. Soit l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) peut retirer les autorisations de mise sur le marché émises pour l’ensemble des produits contenant du glyphosate, un travail de longue haleine puisqu’il y en a plusieurs centaines sur le territoire. C’est ce qu’elle a récemment fait, par exemple, pour la quasi-totalité des formulations à base de chlorpyriphos, une matière active insecticide autorisée en Europe, ou encore pour le Basta F1, un herbicide contenant du glufosinate-ammonium, là encore légal dans l’Union.

Soit l’Etat peut faire adopter une loi interdisant les produits contenant du glyphosate. Au titre de la loi de transition énergétique d’août 2015, l’utilisation de pesticides chimiques par les collectivités locales est d’ores et déjà interdite en France depuis le 1er janvier, et son emploi par les particuliers sera proscrit à partir du 1er janvier 2019. De même, la loi pour la reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages, d’août 2016, interdit à compter du 1er septembre 2018 « l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes », les fameux pesticides tueurs d’abeilles, alors que seul l’usage de trois d’entre eux a été restreint en Europe.

  • Le pays peut-il interdire l’importation de produits à base de glyphosate ?

« Etant donné l’enjeu de santé publique majeur, la France ne devrait pas s’en tenir à interdire le glyphosate, mais également bannir l’importation de tous les produits contenant ou fabriqués à partir de cette matière active », juge l’eurodéputé EELV Yannick Jadot. Seraient alors concernés tous les produits à destination de l’alimentation humaine et animale fabriqués dans des pays étrangers autorisant l’herbicide.

« Si l’Etat apporte la preuve, étayée par des études faisant état de risques sérieux, de la dangerosité pour la santé de produits agricoles traités avec du glyphosate, elle peut interdire l’importation de ces produits sur son territoire, en notifiant cette décision à la Commission européenne, avec laquelle une discussion s’engagera alors », assure Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement.

  • Quels sont les recours juridiques possibles ?

En mettant au ban le glyphosate, la France s’exposerait à de nombreuses poursuites juridiques, notamment au motif d’entrave à la libre circulation des marchandises ou de distorsion de concurrence. « Au niveau communautaire, la Commission européenne ou un autre Etat membre pourraient déclencher un recours en manquement si l’interdiction n’était pas justifiée au regard de l’intérêt général », explique Matthieu Wemaëre, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles.

Des agriculteurs, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ou des fabricants de pesticides peuvent également contester devant les tribunaux administratifs les annulations d’autorisation de mise sur le marché.

Enfin, si une loi venait à être votée, une question prioritaire de constitutionnalité pourrait être soulevée devant le Conseil constitutionnel — afin de vérifier que le texte est conforme à la Constitution — ou encore la légalité des décrets d’application attaquée devant le Conseil d’Etat.

  • Les agriculteurs peuvent-ils se passer du glyphosate ?

Pour la FNSEA, la réponse est non. Selon un sondage Ipsos pour la Plate-forme glyphosate (groupement d’industriels qui vendent cet herbicide) paru le 6 septembre, le surcoût lié à l’interdiction du glyphosate serait de 2 milliards d’euros pour l’agriculture française. « En cas d’interdiction, les agriculteurs seront obligés de racheter une charrue, d’augmenter leur consommation de gazole. Pour désherber, ils devront également utiliser deux ou trois produits différents, ce qui représente un coût financier supplémentaire, justifie Eric Thirouin, le secrétaire général adjoint du syndicat majoritaire dans l’agriculture. Quand on sait que d’autres pays n’auront pas à subir ce surcoût, cela revient à poser un boulet à l’agriculture française. »

Une position que ne partage pas la Confédération paysanne. Dans un communiqué, elle « condamne la décision européenne qui repousse encore la sortie de cet herbicide décrié de toutes parts pour ses conséquences environnementales et sanitaires avérées ». « Les alternatives existent mais (…) si elles ne sont pas massivement utilisées, c’est en grande partie pour des raisons économiques : beaucoup d’entre elles demandent principalement du temps de travail supplémentaire », dit le syndicat minoritaire, appelant à utiliser en soutien les 5 milliards d’euros d’investissement promis par Emmanuel Macron au titre de la transition agricole.

« Les 10 milliards d’euros que la France reçoit chaque année de la politique agricole commune pourraient aussi servir à se passer de glyphosate plutôt que d’aider un modèle productiviste à bout de souffle et sous perfusion chimique », abonde Yannick Jadot.

De fait, des méthodes alternatives au glyphosate existent pour détruire les herbes adventices avant les semis, telles que le travail du sol, l’alternance du labour et du non-labour ou la rotation des cultures. En complément, d’autres herbicides, plus sélectifs, sont également autorisés.

« Les agriculteurs ont fonctionné sans glyphosate jusqu’à la fin des années 1980, rappelle Bertrand Omon, agronome à la chambre d’agriculture de Normandie, qui accompagne des exploitants en transition. Le problème, c’est que les alternatives exigent plus de temps de travail, ce qui pose la question du modèle agricole que nous voulons, alors que la superficie des exploitations n’a cessé d’augmenter pour toujours moins d’agriculteurs. »