Une chasse au fantôme de l’équipe du youtubeur Jordan Perrigaud. / Capture écran Youtube

Le chasseur de fantôme suisse JD a-t-il truqué sa dernière vidéo ? Ce youtubeur aux 1,6 million d’abonnés a en tout cas reconnu qu’il avait été victime d’un canular. Manifestations trop claires, réactions forcées, phrases suspectes… les quelque 45 000 commentaires sous sa vidéo du 12 novembre ne laissaient aucun doute : les spectateurs n’ont pas cru à la probité de cette exploration qu’il a menée avec Jill, une youtubeuse belge ainsi qu’un cameraman, Chris.

Pendant dix jours, nombre d’internautes ont débattu et mené l’enquête pour prouver la supercherie et déterminer si JD est le piégeur ou le piégé. Sur sa chaîne, le vidéaste, qui se consacre au jeu vidéo et aux voyages extrêmes, a fini par renommer la vidéo originale, vue plus d’1,7 million de fois, « meilleur prank [canular] 2017 ». Dans une ultime vidéo, qui dépasse, comme la première, le million de vues, et à grand renfort de suspense, JD tente de prouver son intégrité en menant lui-même l’enquête – des amis du cameraman auraient voulu lui faire peur – et prend la défense de sa camarade Jill, qui a été largement accusée, insultée et menacée sur les réseaux sociaux.

L'EXPLICATION DU MANOIR HANTÉ
Durée : 20:55

Qu’une vidéo de chasse aux fantômes trouve autant d’écho parmi les milliers de contenus postés en ligne chaque jour est inhabituel, mais n’a rien d’étrange. Une trentaine de chaînes YouTube francophones sont dédiées, au moins en partie, au paranormal. La plupart du temps, des équipes se rendent dans des lieux abandonnés (urbex, lieux réputés hantés, signalements de proches…) et cherchent à entrer en contact avec de potentiels esprits. Après une ou deux nuits de tournage, une dizaine d’heures d’analyses et de montage, ils livrent au spectateur un épisode long format.

La grande majorité des enquêtes ne font que quelques milliers de vues mais, parmi les enquêteurs les plus suivis, beaucoup sont issus du jeu vidéo et drainent beaucoup d’audience. Anciens spectateurs biberonnés dans les années 1990 à l’émission Mystères diffusée sur TF1, amateurs des sensations procurées par des film d’horreurs comme Paranormal Activity, ou tout simplement témoins d’événements étranges, de nombreux « chasseurs », « explorateurs » ou « enquêteurs » francophones se sont lancés sur YouTube.

Un sujet tabou… et peu rémunérateur

« Dans les enquêteurs comme le public, il y a tous les profils. Il y a à boire et à manger », analyse Adrien, 29 ans, qui a lancé sa chaîne Ghost’N’us en mai avec sa femme Maeva, qui tient par ailleurs une chaîne « lifestyle ». La perte d’un petit garçon en 2011, la curiosité de Maeva pour le surnaturel et l’intérêt croissant de sa communauté YouTube pour le surnaturel pousse cette famille lorraine à consacrer une partie de son temps à cette activité. « Le paranormal, c’est tabou en France, mais il y a énormément de témoignages et d’intérêt », avance ce père de famille pour expliquer la prégnance de ce phénomène par rapport à d’autres pays.

Ce n’est en tout cas visiblement pas l’argent qui motive les vidéastes. « Quasiment personne ne vit du paranormal », assène Vonette, tatoueuse en région parisienne qui fait partie d’une équipe uniquement composée d’enquêtrices âgées de 24 à 38 ans. La monétisation des vidéos ne rapporte presque rien à ces poids légers de YouTube, qui trouvent toutefois de la visibilité sur la plate-forme. Comme de nombreux vidéastes en ligne, beaucoup financent une partie de leurs enquêtes grâce à des cagnottes sur le site Tipeee. Nombre d’entre eux louent en avant-première les épisodes sur leur site ou sur la plate-forme de vidéos Vimeo. Certains vendent même des pass : pour 79 euros, leur fans peuvent les accompagner dans une chasse.

Pour limiter les frais, beaucoup explorent dans un rayon proche de chez eux. A l’instar des autres communautés de YouTube, si certains continuent d’exercer un métier classique, plusieurs se sont lancés dans la création de petites entreprises de communication ou d’audiovisuel. Ceux qui perçoivent le plus arrivent toutefois à s’offrir du matériel. « Cela ne nous permet pas d’en vivre, mais on vient de commander une caméra à 1 400 euros. Cela met du beurre dans les épinards », explique Adrien.

Le cas du faussaire GussDx

La « farce » du youtubeur suisse JD a de quoi laisser les amateurs de paranormal amers. Elle résonne avec un autre épisode douloureux : GussDx, l’un des chasseurs de fantôme francophones les plus suivis, est tombé pour supercherie à l’été 2016. Ce vidéaste s’est fait connaître il y a cinq ans parmi les fans du jeu Minecraft. A compter de 2014, il met en ligne des vidéos d’enquêtes paranormales. Réalisateur efficace et réputé prudent dans ses explications, GussDx se laisse toutefois aller à la tentation en truquant une de ses vidéos, une exploration de la tour Moncade à Orthez, supprimée depuis. Pour la communauté des sceptiques – les zététiciens – la boîte d’outils qui se renverse de façon inexpliquée dans la vidéo est un montage grossier. Le vidéaste n’aura de cesse de démentir pendant un an.

FAKE? #1.4 - GussDX La Tour Moncade - Mes aveux
Durée : 10:46

Mais, « au pied du mur », Guss DX finira par passer aux aveux et confie que, « sous la pression du résultat », il s’est livré au trucage. « Les quatre épisodes précédents avaient majoritairement déplu », explique-t-il dans une vidéo, elle aussi supprimée par l’auteur. Et le youtubeur démasqué d’ajouter : « J’ai sans doute donné trop de crédit aux commentaires négatifs. Il ne faut pas se leurrer, la majorité des personnes qui regardent chasseur de fantômes attendent de voir du sensationnel, veulent du frisson et veulent voir du fantôme. »

Faire du sensationnalisme sans tricher ?

Pour Vonette, « la triche de GussDX, on la paie encore » :

« Son public de gamers est plus large que le nôtre. Ils n’ont peut-être pas le même âge et les mêmes exigences. Après cette affaire, il y a eu une crise de méfiance, qui a amené certains à devoir faire preuve de plus de transparence, et ça, c’est très bien. »

Les chasseurs-enquêteurs-explorateurs ont dû également s’affranchir des inspirations de GussDx dans le montage ou la réalisation. Certains, comme Maeva et Adrien, avec Ghost’N’us, font équipe avec des tiers : « Il nous arrive d’amener des amis ou des gens qui nous ont indiqué un lieu pour attester qu’on n’est pas des tricheurs. »

[ ENQUETE PARANORMALE ] EPISODE 12 : L'ENFANT CACHE
Durée : 01:46:58

Cédric, de Projet activity, s’est formé en regardant des vidéos. « Mais je préfère laisser place à l’imprévu et ne pas rentrer dans des codes qui sont pour la plupart erronés dans ce domaine. » Les enquêtrices dont fait partie Vonette ont, elles, décidé de s’affranchir de tous les codes les plus en vigueur chez les youtubeurs du paranormal. « Pour l’équipement par exemple, on fuit les outils estampillés “paranormal” et qui sont vendus sous le nom de ghost box, spirit box [censés détecter l’activité des esprits]… ». Il y a aussi les choix de réalisation : « On est accompagné d’une équipe de tournage professionnelle bénévole. Pour le montage, les musiques sombres, les écrans noirs, les logos ce n’est pas trop notre truc. Les gens jouent sur la peur, le cliché du film d’horreur et ça m’agace », précise celle qui préfère chercher l’inspiration plutôt chez True Detective que Paranormal Activity.

Une volonté de crédibilité, mais aussi de ne pas se mettre en danger. « Avec Maeva, on ne va pas dans des lieux remués, où tout le monde passe, comme le château de Fougerêt. On ne fait pas non plus de spiritisme. S’il ne se passe rien, ce n’est pas grave. Il y a toujours quelque chose à tirer du tournage. On peut tout à fait remontrer notre angoisse du moment », explique Adrien. « Certains font du divertissement, nous c’est de la recherche de terrain », insiste Vonette, qui s’appuie sur des écrits de l’astronome Camille Flammarion ou de l’association Inrees (Institut de recherche sur les expériences extraordinaires).

La Nuit du Chasseur (Recherches sur l'invisible) - S02E01 - Retour à Bruniquel HD
Durée : 01:46:09

Certains chasseurs, eux, assument la démarche sensationnaliste, qui selon eux est possible sans tricher. « Le paranormal, c’est du scientifique mais aussi beaucoup de divertissement », insiste Steve Fregeac, animateur de la controversée chaîne YouTube Jery chasseur de fantômes. Régulièrement accusé de faire du fake, il est souvent dans la ligne de mire des sceptiques. « J’ai près de 100 000 abonnés sur YouTube, j’en suis très heureux mais cela crée beaucoup de jalousie », assure-t-il. « Un esprit me dit ferme ta gueule », « un fantôme me possède »… Steve Fregeac « assume complètement » les titres de ses vidéos. « On peut appeler ça des “putaclics”, mais mes titres sont en adéquation avec le contenu. Avant, j’étais prudent dans les titres. Maintenant, j’essaie d’être moi. » Le « style Fregeac » fait aussi beaucoup grincer des dents d’autres enquêteurs.

EXPLORATION DANS UN MANOIR HANTÉ QUI TOURNE MAL (Chasseur de Fantômes) [Explorations Nocturnes]
Durée : 48:49

Matériel, vocabulaire, montage, rebondissements, lieux choisis… Il est vrai que l’écrasante majorité des vidéos se ressemblent. Des usages qu’il faut aller rechercher, bien avant l’apparition de YouTube, dans les premières émissions de « ghosthunting » à la télévision américaine, et dont certains programmes ont été d’ailleurs diffusés en France.

L’un des groupes d’études du paranormal les plus anciens est sans nul doute The Atlantic Paranormal Society, créée dans les années 1990 par le populaire Grant Wilson, et qui donnera lieu au programme de télé-réalité « Ghost Hunters » en 2004. A la même époque, l’équipe de chasseurs français de R.I.P (Recherche investigation paranormal) a son propre show hebdomadaire sur Planète +, du bouquet Canal+. La série télévisée Supernatural, qui raconte les aventures de deux frères, Sam et Dean Winchester, chasseurs de démons, va aussi entériner le style en parodiant les chasseurs de fantômes amateurs qui se mettent sur le chemin des Winchester.

Que ce soit pour rire, pour sursauter, pour soulever le voile de l’au-delà, le choix des fans se porte donc finalement en fonction de la confiance qu’ils adressent à tel ou tel enquêteur. « La plupart des fans sont bienveillants », assure Adrien de Ghost’N’us. Et les vidéos qui semblent le plus convaincre les croyants s’avèrent souvent les moins spectaculaires.