L’heure de vérité approche. Le 5 décembre, les ministres des finances européens doivent définitivement adopter une liste des paradis fiscaux, à laquelle leurs experts travaillent depuis plus d’un an au sein du très opaque « groupe code de conduite » (Le Monde du 23 novembre).

Craignant que les politiques, malgré les retentissantes révélations des « Paradise Papers » ne tentent pour des raisons diplomatiques de protéger certaines juridictions, Oxfam fait monter la pression. Mardi 28 novembre, l’ONG de lutte contre la pauvreté a publié sa propre liste contenant 35 pays hors de l’Union qui, estime-t-elle, devraient être considérés comme des paradis fiscaux au regard des critères européens, si l’UE les appliquait « de manière objective », « sans céder à la pression politique ».

Le « groupe code de conduite » a accepté, fin 2016, de juger 92 juridictions dans le monde à l’aune de trois critères : la transparence (notamment la coopération administrative), une fiscalité équitable (ne favorisant pas l’implantation d’entreprises sans substance économique) et le suivi des lignes directrices de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Pour Oxfam, l’Albanie, les Bahamas, les Bermudes, la Bosnie-Herzégovine, les Emirats arabes unis, Gibraltar, Hongkong, l’île Maurice, Jersey, la Nouvelle-Calédonie, la Suisse, Singapour ou Taïwan sont à considérer comme des paradis fiscaux. L’ONG va plus loin en réclamant que l’Irlande, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas, quatre pays de l’Union, soient aussi mis à l’index. C’est totalement exclu par les Européens qui partent du principe que ces Etats sont d’ores et déjà censés obéir aux lois communautaires, devenues plus restrictives en matière d’optimisation fiscale ces dernières années.

« Sanctions dissuasives »

Oxfam n’est pas seule à craindre de petits arrangements politiques entre capitales européennes. La crédibilité des Etats membres « sera testée par cette première liste européenne des paradis fiscaux. Et pour que cette liste soit crédible, elle doit être ambitieuse et rapidement assortie de sanctions dissuasives », prévenait Pierre Moscovici, le commissaire à l’économie et à la fiscalité ces derniers jours.

Le « code » s’est réuni le 22 novembre pour mettre la dernière main à la liste, qui doit encore être visée par les 28 ambassadeurs des Etats membres auprès de l’UE, le 29 novembre. Entre cette ultime réunion bruxelloise et celle des ministres des finances le 5 décembre, le bal diplomatique entre capitales sera intense pronostiquent des proches des discussions. Ces derniers mois, le Royaume-Uni, plutôt isolé, a déjà tenté de préserver la curiosité du groupe code de conduite à l’égard de ses territoires d’outre-mer.

C’est la Commission qui a initié le travail sur la liste noire, dès 2015, mais elle a perdu la main au profit des Etats et du « groupe code de conduite » même si elle continue à fournir l’essentiel de l’expertise technique aux capitales. Sur les 92 juridictions initialement retenues, vingt-deux ont fourni suffisamment de réponses au « groupe code de conduite » pour être écartées de la future liste. Leurs noms n’ont cependant pas été rendus publics. Tout comme celui des douze juridictions pratiquant un impôt nul sur le bénéfice des sociétés.

La Commission espère qu’en plus d’une « liste noire » crédible, le 5 décembre, les ministres (qui doivent se prononcer à l’unanimité) rendront publique celle des pays ayant pris des engagements fermes à changer leur législation dans l’année qui suit. Parmi eux, les territoires ayant subi de dévastateurs passages d’ouragans ces derniers mois pourraient bénéficier d’un délai de deux ans.

En revanche, rien n’indique que les ministres seront prêts à adopter des sanctions coordonnées au niveau européen et vraiment dissuasives pour les pays figurant sur la liste noire (comme l’interdiction de déduire des bases fiscales les flux qui vont vers les pays de la liste). Luxembourg, Malte et l’Irlande s’opposaient même carrément à toute sanction ces derniers jours : le seul fait de figurer sur la liste suffirait amplement, estimaient-ils…