Des manifestants propalestiniens demandent au Giro de ne faire son départ en Israël, mercredi 29 novembre à Milan. / LUCA BRUNO / AP

Dans les heures suivant la présentation du parcours de son édition 2018, dont le départ sera donné d’Israël, le Tour d’Italie cycliste a découvert mercredi 29 novembre l’existence des mots piégés du conflit israélo-palestinien : en écrivant « West-Jerusalem » sur la carte du parcours, le Giro a commis un impair suscitant l’ire de l’Etat hébreu, dont la réaction n’a pas tardé.

« A Jérusalem, la capitale d’Israël, il n’y a pas d’est ou d’ouest. il n’y a qu’un seul Jérusalem unifié », ont écrit les ministres des sports, Miri Regev, et celui du tourisme, Yariv Levin, dans un communiqué assorti d’une menace : « Si l’écriture ne change pas, le gouvernement israélien ne sera pas partenaire de l’événement. »

Ils ont reproché aux organisateurs du Giro une « rupture des accords avec le gouvernement israélien », lequel a dépensé, selon les médias locaux, une dizaine de millions d’euros pour accueillir l’événement, entre l’argent versé à la société organisatrice et les frais logistiques et de sécurité particulièrement élevés. Selon l’hebdomadaire spécialisé Cycling Weekly, c’est également Israël qui aurait promis 1 à 2 millions d’euros à Christopher Froome pour qu’il participe au Giro, pour la première fois depuis 2009.

Dans la matinée de jeudi 30 novembre, le Giro a commencé à remplacer « West-Jerusalem » par « Jerusalem » sur les différents dessins du parcours.

Les organisateurs du Giro pris au piège

Voilà RCS, groupe de presse milanais propriétaire du Giro, pris au piège qu’il souhaitait éviter : la politisation d’un grand départ organisé, pour la première fois dans l’histoire des grands tours cyclistes, hors d’Europe.

Rencontré au début de novembre à Londres, le directeur du Giro, Mauro Vegni, tenait un discours rodé sur l’aspect strictement sportif du départ de son épreuve en Israël : « Nous ne voulons absolument pas passer un message politique, assurait-il au Monde. Nous faisons du sport, du cyclisme, et c’est une opportunité pour nous. Stop. Rien de plus. Il n’y a rien de politique. »

Mauro Vegni ne se berçait toutefois pas d’illusions sur les présumées vertus diplomatiques du sport ni sur l’utilisation politique qu’en ferait Israël, dont il s’agaçait d’ailleurs à l’avance.

Depuis qu’il a obtenu l’organisation de la « grande partenza » du Giro, Israël le revendique comme le plus grand événement sportif jamais organisé dans le pays. L’Etat hébreu s’attache ces dernières années à accueillir des compétitions, qu’il s’agisse du premier tour du championnat d’Europe de basket cette année ou des prochains championnats d’Europe de judo. Il s’agit d’« une révolution consistant à présenter Israël comme une destination de tourisme et de loisirs », soulignait Yariv Levin, ministre du tourisme, en septembre.

De son côté, la Coordination européenne des comités et associations pour la Palestine (ECCP) a appelé le Giro à déménager son grand départ, estimant que la course cycliste contribuait « à dissimuler l’occupation militaire israélienne et ses politiques racistes contre les Palestiniens » et encourageait « l’impunité israélienne ».

Le contre-la-montre évite la vieille ville de Jérusalem

Le parcours du Giro 2018 partant de Jérusalem-Ouest, tel que présenté mercredi 29 novembre. / HO / AFP

Pour rémunérateur qu’il soit, ce nouveau coup d’éclat du Giro comportait deux pièges : la participation de l’équipe émiratie (UAE Team Emirates) et de l’équipe bahreïnie (Bahreïn-Merida), deux pays arabes ne reconnaissant pas l’existence de l’Etat hébreu, et le tracé des étapes israéliennes.

Le premier, particulièrement sensible s’agissant d’équipes dont les chefs de file sont les vedettes du cyclisme italien Fabio Aru et Vincenzo Nibali, aurait été réglé : « Je sais que ces pays arabes s’en sont parlé et ont décidé ensemble qu’ils devaient être au départ », dit Mauro Vegni.

Le deuxième piège a lui aussi été évité : à la demande des organisateurs, les cyclistes ne pénétreront pas dans les territoires considérés comme « occupés » par les Nations unies, bien que l’étape entre Beer Sheva et Eilat, à travers le désert du Neguev, passe selon l’ECCP « à proximité de dizaines de villages de Palestiniens bédouins que l’Etat d’Israël refuse de reconnaître ».

Le contre-la-montre prévu le 4 mai 2018, premier jour du Giro, se cantonnera à la partie ouest de Jérusalem, autour des lieux symboliques de la ville sainte.

Jérusalem-Est, la partie palestinienne de la ville, est occupée depuis 1967 et a été annexée en 1980 par l’Etat hébreu, qui a proclamé toute la ville comme sa capitale indivisible. L’annexion de Jérusalem-Est par Israël n’est pas reconnue par l’Organisation des Nations unies. Les Palestiniens veulent faire de la partie orientale de la ville sainte la capitale du futur Etat indépendant auquel ils aspirent.

Jérusalem n’est d’ailleurs pas reconnue comme capitale par la communauté internationale et les représentations diplomatiques sont situées à Tel-Aviv — qui accueillera également une étape du Giro.

Le tracé du contre-la-montre de Jérusalem n’aurait, selon le directeur de l’office du tourisme d’Israël, rien à voir avec la politique mais tout avec la sécurité : « Ce serait trop risqué pour les coureurs de rouler dans la vieille ville, car les routes sont vraiment étroites et il y a beaucoup de murailles, a argué Amir Halevi, cité par Cycling Weekly. Nous sommes convenus qu’ils choisiraient le lieu de la course et c’est ce qu’ils ont fait. Nous sommes satisfaits qu’ils aient décidé de laisser la course en dehors de la vieille ville. »

Jusqu’à présent, le Giro n’avait pas fait la distinction, dans ses outils de communication, entre Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest. Sur sa page Facebook, il mettait d’ailleurs en avant son départ d’Israël avec une photo de la vieille ville et du dôme du Rocher, lieu saint de l’islam.

Cette polémique ternit la révélation du parcours du Giro, marquée par l’annonce de la présence au départ de Christopher Froome, et rappelle le risque pris par ses organisateurs. Et le peloton n’a pas encore posé une roue en Israël.