Le premier site du NCGP a été remplacé mercredi 29 novembre par une version plus sobre. / NCGP

Coup de tonnerre dans l’industrie du jeu vidéo ! A la lumière des récentes polémiques sur la suspicion de confusion entre jeux d’argent et jeux vidéo, et pour répondre à la « nécessité de mieux réguler le secteur », une coalition d’« experts de très haut niveau et d’influenceurs » s’élève et se constitue en Comité national pour la régulation des jeux (National Committee for Games Policy, ou NCGP). Un comité qui se décrit comme le « premier centre de lanceurs d’alerte de l’industrie du jeu vidéo ».

C’est du moins ce qu’on apprend dans un communiqué paru le 27 novembre dans un post de blog signé par un certain Kenneth Tran et hébergé sur Gamasutra, site d’information destiné aux professionnels du jeu vidéo.

L’ambition de ce comité : « Protéger les consommateurs contre les entreprises peu scrupuleuses en enquêtant et lançant des procédures légales contre celles qui menacent d’abîmer l’image publique de l’industrie (…). Nous publierons chaque trimestre une liste des entreprises qui ont retenu notre attention ».

L’annonce de la création du NCGP a immédiatement été reprise par plusieurs médias américains, dont la liste accueille désormais les visiteurs sur le site du comité.

PC Gamer, Venture Beat ou Gamasutra ont repris le communiqué du NCGP. / NCGP

Un ton peu professionnel

Mais le ton du communiqué de presse est curieux. Assez peu professionnel. Et les modalités d’adhésion (« sur invitation ») comme l’identité de ses membres (« qui ne sera révélée qu’avec leur permission ») font planer sur l’entreprise un doute que ne vient pas dissiper la composition du comité de direction tel qu’il apparaît sur le site du NCGP : outre celui de Kenneth Tran, six quasi-anonymes, ainsi que Daniel Doan, cofondateur d’une société de relation presse pour jeux méconnue.

Autant d’indices qui mettent la puce à l’oreille d’Erik Kain, contributeur au site de Forbes. Celui-ci exhume sur le blog de M. Tran un billet daté de septembre : « Ce que je fais en tant que jeune entrepreneur : 48 heures dans ma vie ».

Là, le futur membre du comité de direction du NCGP, qui se présente alors comme un « financier fauché de classe moyenne » explique « commencer la journée par un peu de troll sur Internet, comme d’habitude ».

« Pour ceux qui l’ignorent, je suis un troll prolifique. Ça fait partie de l’arsenal des radicaux comme moi. »

Avec une certaine désinvolture, il détaille, par le menu, le programme fantasque de ses deux précédentes journées.

M. Tran explique pêle-mêle avoir rejoint le comité de direction « d’une association représentant 12 000 développeurs », avoir écrit un article pour Gamasutra (effectivement présent dans la section « Blog » du site), avoir lancé un site décernant des faux prix aux jeux vidéo indépendants, s’être vu proposer de travailler pour un projet mené par « un des trois ou quatre principaux contributeurs à la campagne de Donald Trump », avoir discuté avec un dessinateur « des comics Marvel » désireux de collaborer avec lui, ou encore d’avoir « fait un deal avec Tyler Ross, une célèbre star de Netflix ».

Aussi, quand il explique que le point d’orgue de ces quarante-huit heures déjà bien chargées est d’avoir « lancé un think tank dans le domaine des politiques publiques (…) en ligne sur www.ncgp.ca », le contributeur de Forbes se demande s’il s’agit d’un « troll » de plus. « Ça me vaudra sans doute des bons points au sein du Parti républicain. »

« Et qui sait, peut-être que nous arriverons à révolutionner toute une industrie ? », concluait M. Tran sur son blog en septembre, avant de reprendre la litanie de ses exploits du jour.

Sur le compte Twitter du NCGP, une illustration fait référence aux récentes polémiques autour des « loot boxes », des pochettes surprises virtuelles qui s’apparenteraient à des jeux d’argent.

Une initiative relayée par l’extrême droite

Kenneth Tran a depuis répondu aux accusations d’Erik Kain, assurant que contrairement à la plupart de ses initiatives habituelles, le NCGP « n’est pas un troll », mais est né « après qu’[il a] travaillé avec Kushner », le gendre de Donald Trump.

Le contributeur de Forbes, de son côté, reconnaît que M. Tran lui a bien fourni des documents témoignant de l’existence légale de la NCGP, même s’il assure que ceux-ci ont été édités après la parution de son article, et non en 2016 comme le soutient M. Tran dans un communiqué du NCGP. Il est également ressorti de leurs échanges que Jack Wegrich, le « vice-directeur » de la NCGP, serait en réalité mineur : d’après M. Tran, il aurait depuis été écarté du comité de direction.

Si l’existence légale du NCGP ne semble pas faire de doute, il semblerait toutefois qu’il s’agisse d’une initiative anecdotique et politiquement orientée plutôt que d’un groupe de pression mené par de réels « professionnels et experts de l’industrie ».

Mercredi, un article du média d’extrême droite Breitbart faisant la promotion du NCGP était d’ailleurs « épinglé » en haut de la page Twitter du comité.