Le tirage au sort de la Coupe du monde 2018 aura lieu vendredi 1er décembre à Moscou. / SERGEI KARPUKHIN / REUTERS

Bonne nouvelle pour les amateurs de football : la FIFA a annoncé en septembre dernier que pour la première fois dans l’histoire de la Coupe du monde, la composition des pots obéirait à une logique purement sportive, exception faite du traitement de faveur toujours réservé au pays hôte, la Russie. Ce vendredi, à Moscou, lors du tirage au sort de la phase finale du Mondial 2018, les 7 meilleures équipes au classement FIFA d’octobre 2017 (dont la France, qui a miraculeusement grimpé à la 7e place début octobre) figureront dans le pot 1 avec la Russie (formant les 8 têtes de série), les 8 équipes suivantes figureront dans le pot 2, les 8 suivantes dans le pot 3, et enfin les 8 dernières dans le pot 4, indépendamment de leur confédération (continent) d’appartenance, comme je le suggérais il y a trois ans.

Si l’on fait l’hypothèse (audacieuse) que le classement FIFA reflète bien la valeur réelle des équipes, les 8 groupes seront donc bien équilibrés, chacun étant composé d’une équipe tirée au sort dans les 4 pots. Et aucune équipe ne sera désavantagée. Ce changement historique doit être salué, pour le bien du football et au nom de l’équité sportive.

Pot 1 : Russie, Allemagne, Brésil, Portugal, Argentine, Belgique, Pologne, France.

Pot 2 : Espagne, Pérou, Suisse, Angleterre, Colombie, Mexique, Uruguay, Croatie.

Pot 3 : Danemark, Islande, Costa Rica, Suède, Tunisie, Egypte, Sénégal, Iran.

Pot 4 : Serbie, Nigeria, Australie, Japon, Maroc, Panama, Corée du Sud, Arabie saoudite.

Contraintes géographiques

La FIFA a également annoncé qu’elle maintenait la règle selon laquelle deux équipes d’une même confédération ne peuvent être tirées au sort dans le même groupe, à l’exception des équipes européennes – chaque groupe doit contenir au minimum un et au maximum deux équipes européennes. Cette contrainte géographique, légitime, explique pourquoi la FIFA a durant plus de soixante ans utilisé des critères géographiques pour former les pots : il devenait alors facile de satisfaire la contrainte lors du tirage, mais au détriment de l’équité et de l’équilibre des groupes.

Comment faire pour imposer la contrainte géographique maintenant que les pots, bâtis par niveau, contiennent des équipes pouvant provenir de tous les continents ? C’est moins évident, surtout si l’on ajoute que le tirage doit être simple, utiliser un petit nombre d’urnes et de boules tirées par des mains innocentes, et durer environ une demi-heure. Si l’on vide les pots séquentiellement, sans prêter attention à la contrainte géographique, on risque de placer plusieurs équipes d’un même continent, ou bien trois équipes européennes, dans un même groupe, ce qui est interdit.

La FIFA a annoncé ce lundi que pour imposer la contrainte géographique elle allait utiliser la première méthode que je suggérais dans cet article, inspirée du tirage de la Ligue des champions. Les pots 1 à 4 seront vidés dans cet ordre, et l’équipe tirée au sort ira dans le premier groupe admissible dans l’ordre alphabétique des groupes (A à H). Un groupe est admissible si le fait d’y placer l’équipe tirée au sort ne viole pas les contraintes et ne mène pas non plus à une future impasse.

La procédure officielle du tirage étant désormais connue, j’ai calculé les probabilités de tirage pour chacune des 32 équipes, sur la base de 100 000 simulations. Voici les résultats pour la France.

Les contraintes géographiques ont un gros impact sur les probabilités :

  • Dans le pot 2, les Bleus ont 17,5 % de chances de tomber contre le Pérou, la Colombie et l’Uruguay, mais seulement 9,5 % de chances de tomber sur l’Espagne, la Suisse, l’Angleterre, le Mexique et la Croatie. (Les légères fluctuations, connues sous le nom d’erreur d’échantillonnage, sont dues au fait qu’on ne simule qu’un nombre fini de tirages.) En effet, les trois pays sud-américains du pot 2 ne peuvent être placés qu’avec une des 6 têtes de série européennes.
  • Les adversaires des tricolores dans le pot 3 sont à peu près tous aussi probables. Les 3 pays scandinaves sont légèrement moins probables (11,4 % chacun), puisqu’ils ne pourraient rencontrer la France si elle avait auparavant tiré une équipe européenne du pot 2, ce qui a 38 % de chances de se produire.
  • Pour les mêmes raisons, dans le pot 4, l’adversaire le moins probable des Bleus est la Serbie (9,4 %), qui ne pourrait être autorisée à rejoindre le groupe de la France que si les tricolores ont évité les 7 équipes européennes des pots 2 et 3. La France a environ 13 % de chances de tomber contre n’importe quel autre adversaire du pot 4.

Bien sûr, pendant le tirage, une fois connu l’adversaire des Bleus issu du pot 2, les probabilités vont évoluer. Il faudra regarder les probabilités conditionnelles, que voici :

  • Si la France tombe contre une équipe européenne du pot 2, la probabilité de rencontrer Danemark, Islande, Suède ou Serbie tombera à zéro. Dans le même temps, les probabilités de rencontrer les autres équipes des pots 3 et 4 augmenteront.
  • Si les hommes de Deschamps tombent contre une équipe sud-américaine du pot 2, ils auront 54 % de chances de rencontrer un des 3 pays scandinaves dans le pot 3 (18 %) chacun, et 15 % de chances de rencontrer la Serbie dans le pot 4. Mais les Bleus ne pourront tomber sur la Serbie que s’ils ont évité Danemark, Islande et Suède.
  • Si la France tombe sur le Mexique dans le pot 2, il sera assez probable qu’elle rencontre un pays scandinave ou la Serbie. Elle ne pourrait plus tomber sur le Costa Rica et le Panama.

« Groupes de la mort » et « groupes de la vie »

À cause des incohérences du classement FIFA, le tirage pourra encore accoucher d’un « groupe de la mort » comprenant le Brésil, l’Espagne, la Suède et le Nigeria. Mais puisque les pots sont désormais bâtis par niveau, deux pots (les pots 3 et 4) ne contiennent aucune équipe très forte, ce qui rend les « groupes de la mort » beaucoup moins probables que par le passé. En revanche, il y aura probablement des « groupes de la vie » : les groupes de la Russie (tête de série en tant que pays hôte, mais assez faible depuis plusieurs années) et de la Pologne (qui est devenue tête de série en partie en exploitant les défauts du mode de calcul du classement FIFA) seront probablement des groupes assez faibles, sauf s’ils contiennent l’Espagne.

Pour que les groupes soient mieux équilibrés, il faudrait remplacer le classement FIFA par un classement plus juste — par exemple le classement Elo — et traiter le pays hôte comme n’importe quel autre. Voici à quoi ressembleraient alors les pots :

Pot 1 : Brésil, Allemagne, Espagne, Portugal, France, Argentine, Angleterre, Colombie.

Pot 2 : Belgique, Pérou, Uruguay, Suisse, Croatie, Mexique, Pologne, Danemark.

Pot 3 : Suède, Iran, Islande, Sénégal, Serbie, Japon, Costa Rica, Australie.

Pot 4 : Corée du Sud, Nigeria, Maroc, Russie, Panama, Egypte, Tunisie, Arabie saoudite.

Espagne, Angleterre et Colombie remplaceraient Russie, Belgique et Pologne comme têtes de série, ce qui semble raisonnable. Les groupes seraient plus équilibrés. Une bonne nouvelle ne venant jamais seule, la FIFA a récemment annoncé qu’elle allait changer le mode de calcul de son classement. Si elle adopte (enfin !) un système de classement raisonnable, on peut espérer que le tirage au sort de la Coupe du monde 2022 soit enfin juste et équilibré !

Julien Guyon est mathématicien et amateur de football. Analyste quantitatif, il est également professeur associé au département de mathématiques de l’université Columbia et au Courant Institute of Mathematical Sciences de New York University. La « méthode Guyon » est détaillée dans cet article. Elle a été testée et simulée par le New York Times. Les probabilités de tirage pour chacun des 32 pays qualifiés sont disponibles sur le compte Twitter de l’auteur :@julienguyon1977.