Œuvres d’art lega (République démocratique du Congo). / Philippe de FORMANOIR

Parmi les annonces du président français à Ouagadougou, il en est une qui constitue véritablement une rupture historique. Emmanuel Macron a déclaré : « Le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. Il doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou […]. Ce sera l’une de mes priorités. D’ici cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l’Afrique. »

Cette décision fait suite à la campagne lancée par le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) en décembre 2013. Depuis lors, le CRAN a publié plusieurs tribunes ou appels, notamment dans les colonnes du Monde, pour demander que les trésors africains pillés pendant la colonisation soient restitués aux pays d’origine. Cette campagne a été présentée au niveau de l’Unesco et du Conseil des droits de l’homme de l’ONU et soutenue activement par Jean Gervais Tchiffi Zié, le secrétaire général du Forum des rois et leaders traditionnels d’Afrique. Interpellé dans ce contexte, le président du Bénin, Patrice Talon, a formulé une demande officielle de restitution en juillet 2016. Il y a quelques jours, l’Assemblée des rois de Côte d’Ivoire a exprimé une requête semblable, transmise à l’Elysée par le CRAN.

Un enjeu de culture et de droit

Ces efforts n’ont pas été vains. La déclaration d’Emmanuel Macron répond clairement à la demande formulée. Comme l’indiquait Aminata Traoré, ancienne ministre malienne de la culture, plus de 90 % des biens culturels de l’Afrique sont en dehors de l’Afrique. Nicolas Sarkozy avait affirmé que l’homme africain « n’est pas assez entré dans l’histoire », il aurait dû dire : « Nous avons volé l’histoire de l’homme africain », ce qui n’est pas la même chose. Redisons-le clairement : le dialogue interculturel ne peut pas se fonder sur le pillage interculturel.

Il s’agit maintenant de réfléchir à la suite des opérations. Le mieux serait sans doute que soit constituée une commission mixte, comprenant des représentants de la France, des Etats africains et des sociétés civiles, afin que la restitution puisse se faire dans les meilleures conditions. La France n’étant pas le seul pays à avoir conservé des biens issus des pillages coloniaux, il serait sans doute judicieux d’associer à cette démarche les autres Etats européens concernés et leurs anciennes colonies.

Cette démarche multilatérale aurait pu être menée par l’Unesco. Malheureusement, on peut se demander si l’institution, qui a été sur ce dossier toujours très frileuse, est la mieux placée pour conduire les débats. Par ailleurs, la nouvelle directrice générale, Audrey Azoulay, s’est opposée à toute restitution quand elle était ministre de la culture en France. Dans ces conditions, elle s’est elle-même discréditée dans ce domaine et n’est peut-être pas l’interlocutrice la plus appropriée en l’occurrence.

En revanche, le Conseil des droits de l’homme pourrait constituer une alternative tout à fait intéressante. En effet, il s’agit d’une question de culture, mais aussi d’un enjeu de droit. Etant invité à Genève il y a quelques jours, j’ai proposé au président du Conseil des droits de l’homme la mise en place d’une conférence internationale sur les restitutions. L’idée lui a semblé intéressante. Cette initiative pourrait se faire également dans le cadre de la Décennie des personnes d’ascendance africaine, lancée en 2015 sous l’égide des Nations unies.

Une tâche passionnante

Quoi qu’il en soit, quel que soit le format adopté pour les discussions à venir, c’est un immense chantier qui s’ouvre devant nous. Une fois défini le cadre de réflexion, il conviendra de travailler à la question des inventaires et des modes d’acquisition. Certains objets africains ont été achetés de manière légale et ne sont donc pas concernés par la restitution. D’autres ont été volés ou pillés et doivent être rendus aux Etats africains. D’autres encore se trouvent dans une zone grise, leur origine n’étant pas claire. Pour ceux-là, il faudra sans doute un examen au cas par cas.

Parallèlement, les pays africains devront mettre en œuvre les moyens nécessaires pour assurer la conservation des biens, la valorisation du patrimoine et la formation des personnels et des publics. Le président Macron l’a évoqué à juste titre dans son discours :

« Mais le meilleur hommage que je peux rendre non seulement à ces artistes, mais à ces Africains ou ces Européens qui se sont battus pour sauvegarder ces œuvres, c’est de tout faire pour qu’elles reviennent. C’est de tout faire, aussi, pour qu’il y ait la sécurité, le soin qui soit mis en Afrique pour protéger ces œuvres. Donc ces partenariats prendront aussi toutes les précautions pour qu’il y ait des conservateurs bien formés, pour qu’il y ait des engagements académiques et pour qu’il y ait des engagements d’Etat à Etat pour protéger ces œuvres d’art. »

C’est donc une tâche impressionnante, mais aussi passionnante, qui est devant nous. En mai, le CRAN et ses partenaires ont obtenu la mise en place d’une fondation pour la mémoire de l’esclavage, ce qui constitue une réparation financière. En septembre, le CRAN a obtenu de la mairie de Paris qu’elle s’engage à mettre en place un musée de l’esclavage « en guise de réparation des crimes commis ». La restitution, qui est aussi une forme de réparation, permet d’avancer dans cette lutte pour la justice décoloniale. Tous ces progrès montrent qu’en matière de réparation, nous sommes sortis de l’âge du tabou. Il convient d’amplifier ce mouvement, car, en la matière, c’est la réparation qui permet d’accéder à la réconciliation.

Louis-Georges Tin est président de Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN).