La cour d’appel de Bamako a finalement relaxé, lundi 27 novembre, le polémiste Mohamed Youssouf Bathily, plus connu sous le nom de Ras Bath, poursuivi pour « incitation à la désobéissance des troupes » mettant ainsi fin à un feuilleton judiciaire de plusieurs mois et qui a poussé le ministre de la justice, Mamadou Ismaïla Konaté, à la démission.

Des centaines de personnes s’étaient massées, ce lundi-là, devant le tribunal de la Cour d’appel de Bamako, à Banankabougou, quartier populaire sur la rive droite du fleuve Niger, pour demander la libération du « guide ». Ils reprennent son slogan favori : « Choquer pour éduquer ! Frapper pour éduquer ! »

« Je me dis qu’on aurait pu faire l’économie de tout cela, de tout ce boucan et se concentrer sur l’essentiel qui est de faire fonctionner l’administration au bénéfice des citoyens. Cela nous aurait évité les dommages matériels dans le tribunal de la commune IV, la manifestation qui a coûté la vie à un citoyen », affirme Ras Bath, rencontré, mercredi à son bureau au Carrefour des jeunes. Fin juillet, le polémiste de 43 ans avait été condamné par le tribunal de la commune IV à un an de prison et une amende de 100 000 francs CFA (environ 150 euros). Verdict annulé en appel.

Choquer pour éduquer

Tout a commencé le 15 août 2016. Le chroniqueur est interpellé sur ordre du procureur général près la cour d’appel de Bamako, Mamadou Lamine Coulibaly, pour « outrage envers les dépositaires de l’autorité publique ». Sa comparution, deux jours plus tard, donne lieu à des scènes de guérilla urbaine. Les affrontements entre policiers et manifestants exigeant sa libération firent un mort et plusieurs blessés.

« Ras Bath est un phénomène. Le tort du ministre de la justice a été d’en faire un martyr. En l’arrêtant et en suspendant son émission, il a légitimé son message », décrypte Alexis Kalambry, analyste politique. Dans l’émission « Cartes sur table », Ras Bath diffuse des informations jugées fiables mais sensibles sur des dossiers qui concernent surtout la gouvernance. En « sniper verbal », il attaque ministres, politiciens, leaders religieux, officiers de l’armée, élus.

Lorsque son émission fut suspendue à la suite de ses ennuis judiciaires, en 2016, il s’est rabattu sur YouTube, où, fidèle à ses habitudes, il commentait l’actualité en bambara. Il lance son fameux concept : « Choquer pour éduquer ». « Cela vise à pointer du doigt la mauvaise gouvernance, les tares de ce système qui crée plus de chômeurs que d’emplois, qui envoie plus d’innocents en taule que de vrais coupables », explique-t-il. « Il y a un grand courage chez lui. Son succès tient aussi à son éloquence et au fait qu’il privilégie le Bambara », explique Adam Thiam, éditorialiste et chercheur en sciences sociales.

Si les diatribes contre les puissants se font « à travers une théâtralisation de la parole digne d’un enfant des quartiers populaires », selon un de ses proches, Ras Bath n’est pas un fils de la plèbe. Son père, Mohamed Aly Bathily, est ministre de l’habitat et des affaires foncières. « Il est mon meilleur ami, il m’a donné le goût de la contradiction, du débat », confie Ras Bath, qui se considère comme rasta mais aussi musulman.

Ces derniers temps, l’affaire Ras Bath avait fini par installer un climat délétère au sein du gouvernement. Les récentes interventions de son père pour prendre sa défense créent des tensions avec le ministre de la justice. A l’évocation de cet épisode, Ras Bath grimace et répond : « Mon père a juste dit que personne parmi ceux que je critiquais, au gouvernement ou dans l’armée, n’avait initié d’action publique, aucun citoyen ne m’a poursuivi pour diffamation ou dénigrement. » « En face de Ras Bath, il n’y a rien sinon des gens qui traînent des casseroles », ajoute Alexis Kalambry.

« Changement des mentalités »

« Me Konaté a été poussé dans ses derniers retranchements, confie un proche du ministre. Il a arrêté Ras Bath avec l’assentiment de ses patrons. Puis il n’a pas eu le soutien qu’il attendait. C’était sans issue pour le gouvernement qui a compris que condamner Ras Bath pourrait conduire à des soulèvements dans un Etat déjà faible. »  Quelques heures après la relaxe du prévenu, Mamadou Ismaïla Konaté a d’ailleurs rendu son portefeuille ministériel. « Je prends acte de cet arrêt (…) Je note l’attente du régime de passer par un tel chemin vers l’apaisement et l’accalmie », écrit -il dans une lettre de démission à l’allure d’un réquisitoire contre le régime.

Considéré par beaucoup comme un franc-tireur, Ras Bath s’est d’abord fait connaître à travers le Collectif pour la défense de la République (CDR), un regroupement d’organisations de la société civile créé en 2013. Après avoir quitté la plateforme Ante Abana, Touche pas à ma Constitution !, qui s’opposait au projet de réforme soutenu il y a quelques mois par le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, il a lancé sa campagne « Alternance 2018 ». « Il ne s’agit pas d’une alternance politique. Il s’agit du changement des mentalités, qui consiste à ne plus voir l’élection comme un moment pour enrichir son carnet d’adresse pour ses intérêts personnels », précise-t-il.

Ses détracteurs lui reprochent ses « insultes », son « manque de respect » envers les autorités qu’il traite d’« incompétents ». Ses proches voient les choses différemment. « Il bouscule les habitudes et franchit souvent le rubicond social en s’en prenant même aux vieillards. C’était inimaginable il y a quelques années », affirme un animateur de la radio Renouveau FM qui estime qu’au Mali, tout cela est annonciateur de la fin d’une époque.