C’était l’une des sensations fortes de la dernière Documenta d’Athènes et de Kassel, au printemps dernier. Edi Hila pratique une peinture froide, aux accents de glace, qui évoque les paysages urbains de son Albanie natale. Déployé dans les sous-sols de béton du conservatoire de musique d’Athènes pour la Documenta, cet univers frappait par sa poésie brutaliste. L’exposition que lui consacre la galerie Mitterrand, à Paris, achève de convaincre du talent du septuagénaire, qui a toujours refusé de quitter les faubourgs de Tirana. Ce sont eux qu’il représente, dans des toiles dominées par toutes les nuances du gris ou de fascinants lavis de bleu qui plongent son monde dans une nuit américaine. Infiniment mates, sourdes, ses images invitent à une dérive entre grands ensembles à la soviétique, marchés de peu et lieux de pouvoir, comme cette étrange pyramide qui s’impose sur le boulevard des Martyrs-de-la-Nation, la plus politique des artères de la capitale albanaise. Mais Edi Hila brouille les références au réel, introduisant des souvenirs de Versailles dans certaines de ses toiles. Rectitude des plans, grandiloquence du pouvoir, qu’il soit dictatorial ou monarchique, l’ensemble construit une troublante parabole de toutes les machines d’Etat, et de la façon dont elles imposent leur imaginaire aux villes.

« Boulevard 5 » (2015), d’Edi Hila. / EDI HILA, COURTESY GALERIE MITTERRAND/PHOTO : REBECCA FANUELE

« Tirana-Versailles », Galerie Mitterrand, 79, rue du Temple, Paris 3e. Du mardi au samedi de 11 heures à 19 heures. Tél. : 01-43-26-12-05. Jusqu’au 23 janvier. galeriemitterrand.com