L’épisode en dit long sur le peu d’appétence qu’ont les sociaux-démocrates allemands pour une nouvelle « grande coalition ». Vendredi 1er décembre, en fin de matinée, le quotidien Bild annonçait que le SPD donnait son « feu vert à une grande coalition » avec les conservateurs de la démocratie-chétienne (CDU-CSU). Quelques minutes plus tard, c’est un Martin Schulz très agacé qui s’est présenté devant la presse, dans le hall de l’immeuble du parti, à Berlin, pour apporter un démenti. « Aucune option n’est écartée », a assuré le président du SPD, accusant le camp d’en face d’avoir fait de l’intox et ajoutant qu’il venait de téléphoner à Angela Merkel pour lui dire qu’il trouvait de telles pratiques « inacceptables ».

Les deux dirigeants s’étaient rencontrés, la veille au soir, avec Horst Seehofer, le chef de la CSU, l’allié bavarois de la CDU de Mme Merkel, pour plus de deux heures d’entretiens avec le président de la République, Frank-Walter Steinmeier. Une rencontre sur laquelle aucun des participants n’a donné de détails.

Le 24 novembre, il avait fallu huit heures de débats, jusque tard dans la nuit, pour que la direction du SPD déclare que le parti n’était plus « fermé à la discussion » avec la CDU-CSU. Une semaine plus tard, la même instance a donc délibéré pendant trois heures avant de conclure qu’il était urgent d’attendre, qu’une autre réunion aurait lieu lundi 4 décembre, et que rien ne serait arrêté avant le congrès du parti, prévu du 7 au 9 à Berlin.

« Martin Schulz appuie en même temps sur l’accélérateur et le frein », résumait, vendredi, la Süddeutsche Zeitung. On ne saurait mieux dire. Surtout qu’en fin de journée, le Spiegel publiait à son tour une interview de M. Schulz où ce dernier listait ses conditions à une entrée au gouvernement. Parmi elles, « une réponse positive aux propositions d’Emmanuel Macron [sur l’Europe] doit être un élément central de toute négociation avec le SPD », explique l’ancien président du Parlement européen, qui cite l’harmonisation fiscale et la nomination d’un ministre des finances de la zone euro.

Les contorsions de Martin Schulz

Des pistes que l’on imagine mal Mme Merkel écarter a priori, au vu de ses prises de positions antérieures. D’autant plus que M. Schulz prend soin de préciser que « l’on n’est pas obligé de trouver bonnes dans le détail toutes les propositions de M. Macron ». Ce qui peut se lire comme une façon de ne pas braquer ceux qui, à la CDU-CSU, sont par exemple franchement hostiles à l’idée du président français de créer un budget de la zone euro.

Se montrer ferme sur la forme mais pas fermé sur le fond : les contorsions de M. Schulz sont à l’image des divisions qui traversent son parti. Or celles-ci s’étalent davantage chaque jour.

D’un côté, ceux qui plaident ouvertement pour une « grande coalition ». Ainsi de Stephan Weil, le ministre-président de Basse-Saxe, qui vient d’en constituer une dans son Land, et dont la voix porte au SPD après sa victoire aux régionales du 15 octobre, le seul scrutin remporté par le parti en cette année de naufrage électoral. Jeudi, M. Weil s’est clairement prononcé pour une alliance avec les conservateurs. Une hypothèse que d’autres excluent a priori, à l’instar des « Jusos », les jeunes socialistes, qui ont lancé une pétition en ce sens, vendredi.

A la CDU-CSU aussi, le débat existe, même s’il demeure, pour l’instant, moins vif qu’au SPD. Jeudi, l’influent « conseil économique » de la CDU, un courant qui défend les intérêts du patronat au sein du parti conservateur et compte plus de 10 000 membres, a néanmoins pris clairement position contre une « grande coalition », affichant sa préférence pour un gouvernement minoritaire, constitué uniquement de ministres CDU et CSU. Une option que Mme Merkel a jusque-là écarté.

Désenchantement et résignation

Depuis quelques jours, la presse s’interroge également sur l’opportunité d’une nouvelle « grande coalition ». Et, globalement, les avis sont plus que réservés. Jeudi, la Frankfurter Allgemeine Zeitung expliquait ainsi que la « stabilité » vantée par les zélateurs d’une telle alliance – à commencer par M. Steinmeier et Mme Merkel – n’est que le paravent de l’immobilisme. « Le gouvernement le plus stable qui soit est de peu d’utilité au pays, s’il fonce tête baissée dans la mauvaise direction, écrivait, jeudi, le quotidien de centre droit. Une grande coalition regardant de haut le secteur privé, augmentant le coût du travail et décourageant l’esprit d’initiative serait un haïssable monstre de béton. »

Au centre-gauche, les réticences sont les mêmes. Avec des arguments différents, Die Zeit s’en est également pris, jeudi, à ce totem de la « stabilité ». Aux législatives du 24 septembre, note l’hebdomadaire, le SPD et la CDU-CSU ont perdu 13 points par rapport aux élections de 2013, tandis que l’extrême droite, pour la première fois depuis la guerre, est entrée au Bundestag. En quatre ans, « l’opposition a grossi et la grande coalition s’est rétrécie », commente Die Zeit, estimant qu’une telle tendance ne pourrait que s’amplifier si les sociaux-démocrates et les conservateurs s’alliaient à nouveau pour les quatre prochaines années. Conclusion : « A long terme, une grande coalition met en danger la stabilité qu’elle garantit à court terme. »

Le même désenchantement semble avoir gagné les électeurs. Selon un sondage INSA publié par Bild, vendredi, seuls 22 % d’entre eux souhaiteraient une nouvelle « grande coalition », 30 % préférant de nouvelles élections, tandis que 14 % seraient tentés par une alliance entre les conservateurs et les écologistes, et 10 % par la mise en place d’un gouvernement minoritaire. D’après ce sondage, une nouvelle « grande coalition » est toutefois vue comme l’issue la plus probable par 48 % des personnes interrogées. Comme si, sans la vouloir, les Allemands s’y étaient déjà résignés.