Christophe Robert, directeur général de la fondation Abbé Pierre, à la sortie d’une rencontre avec Emmanuel Macron en octobre 2017. / LUDOVIC MARIN / AFP

Emmanuel Macron a fait du logement une des priorités de son quinquennat. Le 24 novembre, le ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, et le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, ont annoncé un plan ambitieux de rénovation énergétique des bâtiments, d’un montant de 14 milliards d’euros sur cinq ans. L’objectif : réhabiliter les sept à huit millions de logements mal isolés, appelés « passoires énergétiques ».

Alors que la première vague de froid touche la France, Christophe Robert, directeur général de la fondation Abbé Pierre, revient sur l’enjeu de la précarité énergétique, qui touche près de quatre millions de ménages. Longtemps chargé de la coordination du Rapport annuel sur l’état du mal logement en France de la fondation, il estime que la rénovation des logements mal isolés est « la bonne réponse » mais que l’Etat doit aussi « donner les moyens aux acteurs » pour accompagner les ménages.

Dans vos rapports annuels, vous constatez une hausse continue de la précarité énergétique en France, quelle est la situation aujourd’hui ?

Christophe Robert : En 2017, l’ONEP [Observatoire national de la précarité énergétique] estime que 12,2 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique. Il existe des critères pour définir cette situation, notamment le fait de consacrer plus que 10 % de son revenu à la dépense énergique, ou de souffrir du froid dans son logement. Si elle a augmenté en dix ans, c’est parce que beaucoup de ménages ont perdu des ressources financières en parallèle d’une flambée du prix de l’énergie.

Et les conséquences ne sont pas qu’économiques ou environnementales. La précarité énergétique a aussi un impact énorme sur la santé. Il y a quelques années, nous avons mené une étude dans laquelle nous comparions deux groupes, l’un vivant dans une situation de précarité énergétique, l’autre pas. Pour le premier groupe, nous avons clairement observé une surreprésentation des maladies cardio-vasculaires, des problèmes respiratoires, des migraines, de l’anxiété, des dépressions.

Le gouvernement a récemment annoncé un plan pour rénover les logements aux faibles performances énergétiques : permet-il de répondre à la situation ?

La bonne réponse, durable, structurelle, à la précarité énergétique, c’est effectivement celle qui consiste à rénover les 8 millions de « passoires énergétiques ». C’est le véritable enjeu des années à venir. Tant qu’on n’aura pas réhabilité les logements de très mauvaise qualité thermique, avec des étiquettes énergétiques F ou G, on pourra toujours donner des aides aux ménages, on ne les sortira pas de la précarité !

Quand on intervient sur le logement d’un ménage pauvre et qu’on le rénove, qu’on lui fournit une bonne isolation, qu’on travaille avec les personnes sur leur gestion quotidienne de l’énergie, on peut leur faire économiser 900 euros par unité de consommation par an. Pour un public qui dépense en moyenne 1 600 euros par an pour l’énergie, c’est énorme ! Et c’est durablement bénéfique.

Nicolas Hulot et Jacques Mézard ont avancé un budget de 14 milliards d’euros sur cinq ans pour rénover 500 000 logements par an, cela vous paraît-il suffisant ?

C’est un bon objectif, mais le montant de 14 milliards nous interpelle. Ces dernières années, l’Etat a consacré à peu près trois milliards d’euros par an rien que pour la rénovation du parc privé de logements. Sur trois ans, cela fait quinze milliards. Or, le gouvernement nous promet aujourd’hui quatorze milliards sur cinq ans pour rénover tous les bâtiments. Nous attendons des précisions de leur part sur ce point.

La loi sur la transition énergétique de 2015 prévoit déjà la rénovation de 500 000 logements par an à partir de janvier 2017, dont 250 000 pour les plus modestes. Dans ces 250 000, à peu près 100 000 vivent dans un logement social, et 150 000 dans le parc privé. C’est pour ces derniers, parmi lesquels on trouve beaucoup de propriétaires qui occupent leur logement, que c’est le plus compliqué. Ils ne sont pas organisés ni outillés comme les bailleurs sociaux.

Pour moitié, ils doivent être rénovés par l’ANAH [Agence nationale de l’habitat], mais les objectifs ne sont déjà pas atteints : on en est à 40 000 logements par an en moyenne. Les 75 000 restants sont encore plus inquiétants car, pour l’heure, on ne voit pas quels sont les moyens qui permettraient leur rénovation dans la feuille de route du gouvernement.

Par ailleurs, rénover le parc de logements permet d’agir sur le « stock ». Mais nous devons aussi nous assurer que de nouveaux logements mal isolés n’arrivent pas sur le marché, notamment pour les locataires les plus défavorisés. La loi sur la transition énergétique prévoyait un décret pour définir un « critère de performance énergétique minimal à respecter » pour qu’un logement à louer soit considéré comme décent. Mais le décret pris en mars est complètement imprécis et insuffisant pour établir un critère de décence. Nous attendons aussi des avancées du gouvernement sur ce point.

Les plans de rénovation sont établis sur la durée, ils prennent du temps, quelle réponse apporter aux personnes concernées en attendant ?

C’est l’autre point de faiblesse de la feuille de route du gouvernement : la question de l’accompagnement et de l’identification des ménages. Elle est déterminante. Beaucoup de personnes ne demandent rien. Elles sont propriétaires, vivent dans leur logement avec la toiture complètement défoncée, sans chauffage central… La première étape, c’est de les identifier. Pour cela, il faut mettre en mouvement tout un maillage : les associations, les maires, les aides à domicile... C’est un travail de fourmi, qui prend du temps.

Il existe beaucoup de dispositifs d’aide, comme le chèque énergie, l’aide à la facture, les fonds de solidarité logements de conseils départementaux… Les plus défavorisés peinent à s’y retrouver. Il faut donner les moyens à ces acteurs d’aider les ménages dans le diagnostic de leur logement, l’établissement du projet de rénovation et de les rassurer pour qu’ils fassent les démarches, sinon on ne pourra pas atteindre les plus précaires.