Le pape François donne une conférence de presse à bord de l’avion qui le ramène au Vatican, le 2 décembre. / POOL / REUTERS

En Birmanie, le pape François a pu dire ce qu’il voulait à qui il voulait et il estime que son message est bien passé auprès de ses interlocuteurs. Dans l’avion qui le ramenait de sa visite de six jours au Myanmar (l’autre nom de la Birmanie) et au Bangladesh, samedi 2 décembre, devant des journalistes, le chef de l’Église catholique a dressé un bilan positif de son périple, dominé par le sort des Rohingya, des populations musulmanes chassées par centaines de milliers de l’ouest de la Birmanie par une répression qualifiée de « nettoyage ethnique » par l’ONU et les organisations humanitaires.

Le pontife est revenu sur le reproche qui lui a été fait de ne pas employer la dénomination « Rohingya » sur le sol birman, alors même qu’il était venu plaider leur cause auprès des autorités. Pour l’État birman, qui refuse leur refuse la nationalité, et pour une bonne partie de la population, en grande majorité bouddhiste, qui les considère comme des immigrés illégaux venus du Bangladesh, les appeler ainsi revient à les reconnaître comme une composante de la mosaïque ethnique et culturelle birmane, ce qu’ils refusent. François a commencé par rappeler qu’il avait employé ce terme à plusieurs reprises depuis le début de l’année, place Saint-Pierre : « [Avant que je n’arrive] on savait déjà ce que je pensais ». « Ce qui m’intéresse, a-t-il continué, c’est que le message parvienne [à mes interlocuteurs birmans]. Si j’avais prononcé ce mot dans un discours officiel, je leur aurais fermé la porte au nez » et, selon lui, le message ne serait pas passé.

Entretiens privés

Le pape a donc choisi de s’abstenir de le prononcer en public. Mais l’a-t-il fait lors de ses entretiens privés avec ses interlocuteurs institutionnels et notamment avec le général Min Aung Hlaing, le chef de l’armée et, à ce titre, responsable de l’action des militaires dans l’État Rakhine ? « J’ai utilisé les mots pour arriver à [faire passer] le message. Quand j’ai vu que le message était accepté, j’ai osé dire tout ce que je voulais dire », a-t-il répondu. Avec lui, a insisté le pontife, « je n’ai pas négocié la vérité. Je l’ai fait de telle sorte qu’il comprenne un peu que la voie des époques sombres, aujourd’hui, n’est pas viable. Ça a été une belle rencontre, civilisée, et le message est parvenu ».

François est revenu sur sa rencontre avec seize réfugiés, vendredi, à Dacca, à l’occasion d’une prière interreligieuse, au terme de laquelle il a prononcé le mot « Rohingya ». Ces réfugiés avaient été amenés d’un camp de la région de Cox’s Bazar. « [Cette rencontre] n’était pas programmée comme cela. Je savais que je rencontrerais les Rohingya, je ne savais pas où et comment. Mais pour moi, c’était une condition du voyage. » « La prière interreligieuse a préparé nos cœurs. Nous étions religieusement très ouverts. Moi du moins je me sentais ainsi. Ils sont venus me saluer, en file indienne. Et subitement on a voulu les chasser de l’estrade et là, je me suis mis en colère. (…) Et ils sont restés là. Je les ai écoutés un à un. Je commençais à sentir des choses à l’intérieur de moi. Je me suis dit : je ne peux pas les laisser partir sans leur dire un mot. J’ai demandé le micro. J’ai commencé à parler, je ne me souviens plus ce que j’ai dit. Je sais qu’à un certain moment j’ai demandé pardon. A deux reprises. A ce moment je pleurais, je cherchais à ce que cela ne se voit pas. Eux pleuraient aussi. L’un d’entre eux a dit une prière. » « J’ai senti que le message était passé. Avez-vous les couvertures des journaux [bangladais] ? Je n’ai pas entendu de critique. »

« C’est grand, ce que fait le Bangladesh »

Le pape a indiqué qu’il aurait souhaité se rendre dans un camp de réfugiés mais que cela n’avait pas été possible. Il a rendu hommage au Bangladesh, qui accueille sur son sol, dans des camps de réfugiés, un million de Rohingya ayant fui les persécutions. « C’est grand, ce que fait le Bangladesh pour eux est grand, un exemple d’accueil. Un pays petit, pauvre, qui a reçu 700 000 personnes [depuis l’été] : je pense aux pays qui ferment les portes. Nous devons être reconnaissants de l’exemple qu’ils nous ont donné. »

Interrogé sur l’existence de groupes islamistes parmi les Rohingya, il a répondu : « Oui il y avait des groupes terroristes là-bas qui essayaient de profiter de la situation des Royingya, qui sont des personnes de paix. Comme dans toutes les ethnies, toutes les religions, il y a toujours un groupe fondamentaliste. Nous aussi les catholiques nous en avons. Les militaires justifient leur intervention à cause de ces groupes, je n’ai pas parlé avec ces gens, j’ai parlé avec les victimes, les victimes étaient le peuple Royingya qui d’un côté souffrait de la discrimination et de l’autre côté était défendu par les terroristes. Les pauvres ! (…) Ceux qui se sont enrôlés dans Daech, c’est un petit groupe fondamentaliste extrémiste. C’est ça que font les fondamentalistes, ils justifient l’intervention qui a détruit les bons comme les méchants. »