Un étal de viande de bœuf au sein du Eastern Market à Washington, aux Etats-Unis. / SAUL LOEB / AFP

C’est à l’un des symboles de l’Amérique que s’attaque une équipe de scientifiques : la pièce de bœuf. Dans une étude publiée lundi 4 décembre dans la revue Nature Ecology & Evolution, des chercheurs américains et israéliens concluent que, pour être soutenable d’un point de vue environnemental, l’industrie bovine des Etats-Unis ne devrait pas dépasser 45 % de sa production actuelle. Dit autrement, les Américains ne consommeraient plus que 205 grammes de bœuf par semaine et par personne, contre 460 g aujourd’hui.

Aux Etats-Unis, la production de viande bovine, le plus important secteur agricole du pays, est dix à cinquante fois plus néfaste pour l’environnement que tout autre type d’alternatives à base de protéines animales ou végétales, rappellent les scientifiques, déjà auteurs de plusieurs études sur le poids environnemental de la viande, des œufs et des produits laitiers outre-Atlantique. En cause : la consommation de terres, d’eau, les pollutions aux nitrates ou les rejets de gaz à effet de serre dus aux 94 millions de têtes de bétail, mais aussi à la production de céréales pour les nourrir. Les feedlots, ces immenses parcs d’engraissement intensifs où les vaches sont confinées pour atteindre le plus rapidement possible leur poids d’abattage, sont particulièrement montrés du doigt.

Ainsi, arguent les chercheurs, l’impact de l’alimentation – responsable de 20 % des émissions nationales de gaz à effet de serre, de 40 % de la consommation d’eau douce, de l’utilisation de 47 % de la surface terrestre nationale et de l’application de 70 % de l’azote épandu – peut être considérablement réduit en agissant sur la production de viande bovine.

Division par deux de la production

Pour cela, l’équipe menée par Gidon Eshel, chercheur en sciences de l’environnement à l’université d’Harvard, a établi une définition « possible mais non unique » de la production de bœuf durable. « Nous considérons qu’il s’agit des animaux qui ne mangent que des ressources non inutilisables pour l’alimentation humaine : l’herbe des pâturages, ainsi que les sous-produits de l’industrie alimentaire, tels que les restes de céréales après la distillation, la production de farine ou la pulpe après la transformation de la betterave sucrière », décrit le spécialiste de l’agriculture et de l’alimentation.

A partir de ces quantités de nourriture disponibles, ils en déduisent que seule 45 % de la production de viande bovine actuelle pourrait être produite de manière soutenable. Ils notent en outre que si les 135 millions d’hectares de pâturages les moins productifs n’étaient pas utilisés mais laissés à la vie sauvage, le cheptel bovin n’en serait guère affecté. Environ 43 % de la production de bœufs pourrait encore être atteinte.

Dans tous les cas, 32 millions d’hectares de terres agricoles de haute qualité, actuellement utilisées pour la nourriture des bovins, seraient libres pour produire des alternatives au bœuf, qu’il s’agisse d’aliments d’origine végétale (soja, épeautre, orge, pois, etc.) ou d’origine animale (poulet, porc et produits laitiers). Selon les scientifiques, un tel changement serait profitable tant d’un point de vue environnemental que nutritionnel, quelles que soient les cultures de substitution choisies, parmi les 14 qu’ils ont étudiées.

Baisse de 90 % des émissions de gaz à effet de serre

L’apport en protéines pour les humains serait 2 à 24 fois supérieur à celui fourni par le bœuf, et l’apport en calories 2 à 16 fois plus élevé. Ces produits procurent également plus de fibres, plus de vitamines et de minéraux. Par exemple, la réaffectation des terres de production bovine aux haricots rouges permettrait de multiplier par dix l’apport protéique (et donc de nourrir davantage de personnes), tout en limitant de 90 % les émissions de gaz à effet de serre, de 20 % l’eau d’irrigation et de 50 % les engrais azotés. Seule exception notable : les apports en vitamine B12, qu’une alimentation végétalienne ne peut combler et qui nécessitent donc une supplémentation.

Reste la question de savoir comment diviser par deux la consommation de viande aux Etats-Unis, enjeu sur lequel les auteurs confessent ne pas avoir de recette miracle. « Cela ne peut se faire sans s’attaquer à l’énorme pouvoir des transformateurs de viande, comme JBS ou Cargill, qui contrôlent 85 % du marché américain et qui dictent le prix payé aux producteurs, généralement inférieur à leur coût de production, assure Shefali Sharma, de l’Institut pour la politique agricole et commerciale, une ONG qui œuvre pour une agriculture durable et équitable. Ces industriels doivent aussi payer pour les coûts environnementaux et de santé publique associés au bœuf nourri de manière intensive. Nous devons construire cette transition avec l’appui de programmes gouvernementaux et la suppression du financement public de l’agrobusiness. »