Vladimir Poutine, à Sotchi, le 23 novembre. / SPUTNIK / REUTERS

Dans l’attente de la décision du Comité international olympique (CIO), mardi 5 décembre, sur une éventuelle interdiction de la Russie aux Jeux olympiques d’hiver, en février, à Pyeongchang (Corée du Sud), les chaînes de télévision russes sont sur le pied de guerre. A l’unisson avec les autorités, elles dénoncent par anticipation une sanction décrite par le Kremlin comme une « punition » orchestrée par les Etats-Unis.

Les tenues officielles de la délégation russe pour les JO ont certes été présentées à la presse, mais le Kremlin s’attend à une décision négative. La liste des sportifs suspendus pour dopage par le CIO, pour avoir bénéficié de manipulations de leurs échantillons aux Jeux olympiques de Sotchi en 2014, s’allonge chaque semaine : 25 d’entre eux ont été rétrospectivement disqualifiés et la Russie a perdu sa première place au tableau des médailles. Depuis le 9 novembre, Vladimir Poutine a lancé la contre-attaque : « En réponse à notre prétendue ingérence dans leur élection, a-t-il déclaré, ils [les Etats-Unis] veulent provoquer des problèmes lors de l’élection présidentielle russe. »

A moins de quatre mois du scrutin, prévu le 18 mars, qui, sauf surprise, devrait reconduire le chef de l’Etat dans ses fonctions, la décision du CIO d’exclure les athlètes russes serait une mauvaise nouvelle pour le Kremlin. Elle priverait M. Poutine du prestige dont il s’est prévalu sur la scène internationale avec les JO de Sotchi. Les sports d’hiver sont, en Russie, beaucoup plus populaires que la Coupe du monde de football.

« Axe du mal »

A la stupéfaction générale, le vice-premier ministre, Vitali Moutko, s’est longuement épanché sur le sujet, vendredi 1er décembre, lors du tirage au sort pour le Mondial 2018 que la Russie accueillera cet été. Plutôt que de parler football, l’ex-ministre des sports, au cœur du scandale du dopage « institutionnalisé », a consacré son intervention aux éventuelles sanctions lors des prochains JO. C’est une « tentative de présenter [la Russie] comme un axe du mal, a-t-il tempêté. On a fait de nous une sorte de monstre. Maintenant, tout le monde, n’importe quel expert, a le droit de dire : “Il faut punir la Russie” ».

Il y a moins de trois mois, le sentiment dominant, pourtant, était que la Russie échapperait à des sanctions. Le CIO avait même modifié son règlement pour pouvoir imposer des amendes en cas d’infraction « collective », décision alors interprétée comme une porte de sortie offerte à Moscou. Mais le vent a tourné. D’une part, l’Agence mondiale antidopage (AMA) a récupéré un précieux document contenant les résultats authentiques des analyses d’échantillons réalisées au laboratoire de Moscou de janvier 2012 à août 2015, que la Russie avait mis sous scellés. L’AMA a ainsi pu vérifier que des sportifs russes contrôlés positifs avaient été, par la suite, annoncés négatifs. En conséquence, l’AMA a refusé de réaccréditer l’agence russe antidopage (Rusada).

D’autre part, la commission du CIO chargée de vérifier les affirmations du rapport McLaren, c’est-à-dire tous les documents et témoignages apportés par Grigory Rodchenkov, l’ancien directeur du laboratoire de Moscou réfugié aux Etats-Unis, a validé ses conclusions et jugé le scientifique crédible. Or, la récente publication par le New York Times de carnets de notes de Rodchenkov s’avère particulièrement embarrassante pour Vitali Moutko. Ils attestent en effet de son implication dans la préparation des athlètes russes, à base de produits dopants, pour les JO de Sotchi, ainsi que dans le système de protection dont ils bénéficiaient. Rodchenkov affirme aussi que M. Poutine était au courant de ces manipulations.

« Les Etats-Unis contrôlent tout »

La défense russe consiste à dénoncer une machination ourdie outre-Atlantique. « Les Etats-Unis contrôlent tout car les principales sociétés qui paient pour les droits de télévision, les principaux sponsors, les principaux acheteurs de publicités se situent là-bas », a lancé M. Poutine. « Il y a un sens particulier dans tout cela, a renchéri le 30 novembre le premier ministre, Dmitri Medvedev, parce que les gens aiment le sport, soutiennent nos athlètes et cela provoquerait une profonde déception s’ils étaient sanctionnés. C’est de la politique et il n’y a aucun doute à ce sujet. »

Des institutions américaines ont, de fait, joué un rôle majeur dans la révélation de la triche russe aux JO de Sotchi. Accueilli aux Etats-Unis par le réalisateur américain Bryan Fogel, avec qui il collaborait dans le cadre d’un documentaire sur le dopage, Grigory Rodchenkov a été mis en relation avec les autorités américaines. Le département de la justice a ouvert une enquête sur les accusations de fraude dans le sport russe au printemps 2016, selon plusieurs médias américains, et M. Rodchenkov vit désormais sous le programme de protection des témoins. Par ailleurs, le patron de l’agence américaine antidopage, Travis Tygart, très influent auprès de ses pairs, est l’un des avocats les plus médiatiques d’une exclusion totale de la Russie à Pyeongchang.