Des militants houthistes célèbrent la mort de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, à Sanaa, au Yémen, le 4  décembre 2017. / KHALED ABDULLAH / REUTERS

Le chef de la rébellion houthiste, Abdel Malik Al-Houthi, 38 ans, n’a pas eu un mot pour la mort de son ancien allié, l’ex-président yéménite Ali Abdallah Saleh, tué par des miliciens lundi 4 décembre près de Sanaa, la capitale. M. Saleh tentait de fuir vers le sud, selon les houthistes, en direction de son district natal de Sanhan. Dans un discours diffusé dans la soirée par la chaîne Al-Massira, le leader reclus de la rébellion houthiste s’est félicité de « l’échec du complot » de son rival, sans mentionner le sort de son ancien allié.

Des combats avaient encore lieu, lundi soir à Sanaa, entre ses miliciens et des partisans de M. Saleh, pour le sixième jour de suite. Cependant, l’issue en paraissait scellée : les houthistes sont désormais seuls maîtres de la capitale, dont ils partageaient le contrôle depuis septembre 2014 avec l’ex-président. La coalition saoudienne qui leur mène la guerre depuis mars 2015, essentiellement depuis les airs, a poursuivi ses bombardements lundi, après avoir soutenu les partisans de M. Saleh durant le week-end.

L’ONU a réévalué à 8,4 millions le nombre de Yéménites au bord de la famine, ayant besoin d’une aide urgente

Riyad a frappé des points de regroupement militaires des houthistes dans la nuit de lundi à mardi, bénéficiant probablement de renseignement des forces de M. Saleh, d’une précision rare, selon une source diplomatique. Lundi dans la journée, les avions de Riyad avaient déjà frappé des positions du camp Saleh tombées aux mains des houthistes, immédiatement après leur prise.

Les Nations unies devaient de nouveau appeler, mardi 5 décembre, à mettre un terme aux combats : une trêve humanitaire permettrait d’évacuer leurs personnels et les membres d’organisations non gouvernementales demeurés bloqués dans Sanaa durant le week-end de combats. Lundi, l’Organisation des Nations unies a réévalué à 8,4 millions le nombre de Yéménites au bord de la famine, ayant besoin d’une aide urgente. Nombre d’observateurs s’attendent cependant à une intensification des bombardements de la coalition et du blocus qu’elle impose aux zones rebelles.

Avec M. Saleh, Riyad a perdu un atout unique, capable de peser de l’intérieur sur la rébellion, et qui apparaissait comme l’un des hommes les plus à mêmes de négocier un éventuel accord politique. Sans lui, Sanaa n’est plus qu’un fief exclusivement aux mains des houthistes et de leur parrain iranien, le grand rival régional de l’Arabie saoudite. Mardi le président de la République islamique d’Iran, Hassan Rohani, a assuré que le pays « ser[ait] libéré des mains des agresseurs » saoudiens, tandis qu’un haut gradé iranien dénonçait « une tentative de coup d’Etat » à Sanaa.

Venger son père

Dans son discours, lundi, Abdel Malik Al-Houthi a évoqué « un jour sombre pour les forces de la coalition ». Qu’il ait ordonné l’exécution de son rival ou non importe peu désormais : les houthistes se disent renforcés, débarrassés d’un ennemi de l’intérieur. Un grand rassemblement de célébration était prévu mardi à Sanaa.

Que vont devenir les militaires fidèles à M. Saleh et son parti, le Congrès général du peuple (CGP) ? Lundi soir, le président légitime, Abd Rabbo Mansour Hadi, a tenté de les rallier depuis son exil à Riyad, répétant son soutien au « soulèvement » auquel avait appelé M. Saleh avant sa mort. Plus réaliste, le gouverneur de la province orientale de Marib, Sultan Al-Aradah, a ouvert sa ville aux membres du CGP qui voudraient s’y réfugier.

« Une interrogation demeure sur la volonté des houthistes de reprendre vite le contrôle des provinces qu’ils tenaient conjointement avec les forces de M. Saleh, note cette source diplomatique. Les forces de Saleh y sont plus à leur aise pour manœuvrer que dans la capitale, et peuvent bénéficier de ses réseaux tribaux. » Cependant, il faudra des mois à la garde républicaine, le principal corps d’armée resté fidèle à M. Saleh durant la guerre civile, pour reformer sa chaîne de commandement, après les pertes de Sanaa.

Il en va de même pour le parti, au sein duquel aucune figure ne s’impose. « Il faudra qu’un chef émerge à Sanaa, ça n’est pas aisé, et les gens n’accepteront pas une direction basée à l’étranger », relève Mustapha Noman, ancien vice-ministre des affaires étrangères. Le fils et héritier désigné de Saleh, Ahmed Ali, ancien patron de la garde républicaine, est assigné à résidence aux Emirats arabes unis. Il a promis de « conduire la bataille » pour venger son père, dans un discours diffusé mardi par la chaîne saoudienne Al-Ekbaria.

Gouvernement en exil

Les houthistes, de leur côté, ont coopté et débauché, depuis trois ans, nombre d’anciens fidèles de M. Saleh : ce mouvement devrait se poursuivre. Les derniers jours ont démontré qu’ils bénéficiaient encore d’un soutien populaire à Sanaa, ou du moins qu’ils y étaient craints. Dans les provinces, la plupart des tribus ont attendu sans bouger qu’un vainqueur émerge. « L’épuration qui va suivre risque de coûter cher aux houthistes », note l’analyste Adam Baron.

Face aux rebelles, toute négociation paraît désormais impossible avec l’Arabie saoudite. Riyad a placé sous sanctions, au début de novembre, une quarantaine de responsables houthistes, et mis leur tête à prix. Les rebelles eux-mêmes ne sont pas plus enclins à négocier depuis qu’ils ont chassé de Sanaa, au printemps, l’émissaire des Nations unies, Ismail Ould Cheikh Ahmed. « La guerre est leur domaine : il n’y a que cela qu’ils sachent bien faire. Ils ne savent pas négocier », soupire M. Noman.

Malgré ces limites, les houthistes restent de fait seuls chargés de ce qu’il reste de l’Etat et de son administration à Sanaa et dans la moitié nord du pays, la plus peuplée. Le gouvernement légitime vit hors sol, en exil : les ministres sont peu nombreux à Aden, la « capitale temporaire » dans les zones libérées du sud, où des forces sécessionnistes contestent leur autorité. Ils ont échoué pour l’heure à y relancer la banque centrale, qu’il avait transférée hors de Sanaa à l’été 2016, afin de priver la rébellion d’une importante source de revenus.