Les raisons de la contamination dans l’usine de Craon, en Mayenne, qui emploie près de 600 salariés et fabrique des laits en poudre pour le marché international ainsi que du fromage industriel, demeurent encore mystérieuses. / DAMIEN MEYER / AFP

Les autorités sanitaires ont annoncé ce week-end le rappel et le retrait de douze lots de lait infantile, commercialisés sous trois marques différentes, en raison d’une possible contamination par des salmonelles de type Agona – des micro-organismes responsables, entre autres, de gastro-entérite – de 20 nourrissons âgés de moins de 6 mois dans 8 régions différentes.

À la suite de ces contaminations, les familles de 13 des 20 enfants affectés ont été interrogées, ce qui a permis de découvrir que tous les bébés avaient consommé du lait infantile 1er âge issu de productions élaborées entre mi-juillet et fin novembre sur un même site de production du groupe LNS (Lactalis Nutrition Santé), situé à Craon, en Mayenne. Si les raisons de la contamination restent encore à éclaircir, celle-ci pose déjà plusieurs questions.

  • Quels sont les lots suspectés ?

Les autorités demandent de ne pas utiliser douze lots de lait infantile commercialisés sous les marques Lait Picot SL sans lactose 1er âge 350 g, Lait Pepti Junior sans lactose 1er âge 460 g, et Lait Milumel Bio 1er âge 900 g sans huile de palme. Que les boites soient neuves ou déjà entamées. Les produits retirés de la vente représentent 199 000 boîtes, dont 40 000 étaient encore en stock dans l’entreprise.

Les boîtes de lait de ces marques non concernées par le retrait-rappel (les autres numéros de lots) peuvent être consommées, précise la Direction générale de la santé (DGS).

  • Comment cette contamination a-t-elle pu se produire ?

Le producteur Lactalis assure que les autocontrôles réalisés avant la mise sur le marché n’ont révélé aucune contamination par des salmonelles.

Le porte-parole du groupe, Michel Nalet, a expliqué au Monde que l’entreprise procède à deux types de contrôle pour détecter une éventuelle présence de salmonelles lors de la fabrication des laits infantiles : d’abord dans la tour de séchage quand le lait est transformé en poudre, puis au moment du conditionnement. Sans toutefois expliquer quel pourcentage de la production est analysé. Il donne un chiffre global d’analyses, soit 5 000 depuis le début de l’année. Et affirme qu’elles ont toutes été négatives à la présence de salmonelles.

« Il est possible que dans les échantillons analysés, les concentrations de salmonelles aient été trop faibles pour pouvoir être détectées », analyse le Pr François-Xavier Weill, chef de l’unité bactéries pathogènes entériques à l’Institut Pasteur. D’autant que, souligne le chercheur, « dans la poudre de lait, la bactérie, qui n’aime pas du tout être dans un environnement sec, se retrouve “stressée” et se met en quelque sorte en hibernation, donc elle devient plus difficilement détectable au laboratoire ».

Par ailleurs, une salmonelle présente en très faible quantité, qui aurait été sans conséquence chez un adulte en bonne santé, peut suffire à rendre malade un nourrisson dont les défenses immunitaires sont faibles, d’autant plus s’il est exclusivement nourri au lait infantile.

  • A quel moment a-t-elle pu avoir lieu ?

Normalement, les bactéries présentes dans le lait cru sont tuées lors de la pasteurisation et la stérilisation, comme le rappelle Le Figaro. Mais il peut arriver que certaines survivent à ces fortes chaleurs.

Le porte-parole de l’entreprise a reconnu auprès du Monde que deux analyses faites dans l’environnement de l’usine ont été positives : l’une en juillet sur un outil de nettoyage, l’autre en novembre sur du carrelage. Deux dates qui correspondent aux butées fixées par les autorités de santé dans leur décision de retrait de produits.

Selon le Pr Weill, qui s’appuie sur les analyses qui avaient eu lieu lors d’une précédente alerte, il y a plusieurs possibilités, que l’enquête devra déterminer :

« Soit c’est dû à l’utilisation d’un lait cru contaminé, avec par la suite un problème lors de l’étape de pasteurisation (durées ou températures de chauffage insuffisantes) ; soit c’est dû à une contamination après pasteurisation du lait, à partir de l’environnement de la chaîne de fabrication et/ou de conditionnement ; ou bien à partir d’une matière première introduite après pasteurisation (ajout d’additifs, par exemple). »
  • Où en est la vérification ?

Lors d’une précédente alerte, en 2005, l’usine de Craon n’appartenait pas encore à Lactalis, mais était détenue par le groupe Celia. / DAMIEN MEYER / AFP

Lactalis s’est engagé dès dimanche à apporter « toutes les explications sur l’origine de ces éventuelles contaminations dès que les résultats de ces analyses seront connus ». « Il y aura une analyse et un plan de contrôle encore plus précis pour voir si on retrouve cette salmonelle dans les produits stockés dans nos entrepôts », soulignait le groupe, précisant que cela était fait « en relation très étroite avec les services départementaux et nationaux » de la DGCCRF. Cette dernière a déclaré au Monde.fr qu’elle « poursuivait son enquête ».

Les services sanitaires, de même que Lactalis, procèdent actuellement à des analyses complémentaires sur les boîtes de lait encore en stock et sur les lots renvoyés par les pharmacies et la grande distribution. « Le plus important va être de comprendre comment ça s’est passé et de vérifier s’il n’y a pas des résidus de bactéries pour ne pas que d’autres lots soient contaminés dans le futur », souligne le Pr Weill.

  • Quels symptômes peuvent alerter ?

Les symptômes de contamination surviennent dans les trois jours et provoquent des gastro-entérites avec vomissements, des diarrhées parfois sanglantes et souvent accompagnées de fièvre. Le risque d’une déshydratation rapide se présente. L’apparition de ces signes chez un nourrisson doit conduire à consulter un médecin.

Les parents qui disposeraient de lots concernés peuvent se rendre en pharmacie pour se voir conseiller un lait de remplacement, dont la liste a été dressée par la Société Française de Pédiatrie.

Les pédiatres rappellent aussi quelques règles d’hygiène : se laver les mains, « bien nettoyer le biberon, la tétine et toutes les pièces et enlever les résidus tombés au fond du biberon avec une petite brosse », selon le Pr Tounian, qui rappelle aussi qu’il ne faut jamais conserver un biberon non terminé, même au frigo.

En parallèle, la société Lactalis a mis en place un numéro vert, le 0800 120 120, pour répondre aux interrogations des parents (de 9 heures à 20 heures). Mais certains parents se plaignaient au Parisien de leurs difficultés à joindre la ligne dimanche. Le groupe a en effet été submergé avec « 14 000 appels dimanche, et un pic à 2 500 appels par heure », selon M. Nalet au Monde. « Lundi, le rythme était encore de 300 appels à l’heure. »

La DGS, qui a pu joindre 14 familles sur les 20, a précisé que « les 14 bébés vont bien » et cherchait à contacter les 6 familles restantes.

  • Y a-t-il eu des précédents ?

Ce n’est pas la première fois que l’usine de Mayenne fait l’objet de soupçons. Déjà en 2005, l’Etat avait décidé de retirer des laits infantiles de la marque Picot et d’autres laits fabriqués sur ce site, alors détenu par le groupe Celia. Cette « épidémie de salmonellose », ainsi qu’elle avait été qualifiée, était sans commune mesure avec ce qui arrive actuellement puisqu’elle avait touché 141 nourrissons et que 50 d’entre eux avaient dû être hospitalisés, avec une évolution favorable pour la totalité. L’origine de la contamination n’avait pu être déterminée avec certitude.

Le Pr Weill tient à rappeler que « depuis dix ans, on est sur une baisse de moitié du nombre d’infections à salmonelles chez l’homme dans toute l’Europe ».