Kevin Mayer a été l’une des trois médailles d’or de l’athlétisme français à Londres cet été. / Matthias Schrader / AP

L’équipe de France d’athlétisme peut-elle confirmer à Tokyo (2020) et à Paris (2024) les promesses entrevues à Rio et à Londres ? Avec six médailles aux Jeux olympiques de 2016 et cinq médailles – dont trois en or – au mois d’août lors des Mondiaux 2017, le bilan comptable est très positif pour les athlètes tricolores.

Nommé en avril, le nouveau directeur technique national (DTN), Patrice Gergès, présentait mardi 5 décembre à la Maison du Japon, à la Cité internationale de Paris, le plan fédéral pour les échéances olympiques à venir. L’ancien champion paralympique détaille sa stratégie pour les équipes de France.

Les Jeux de Tokyo sont déjà proches, puis ceux de Paris constitueront une échéance primordiale pour le sport français. Comment gère-t-on un tel enchaînement ?

L’approche n’est pas foncièrement différente, c’est surtout le timing qui n’est pas le même et donc la façon de s’engager auprès des athlètes. Pour 2024, on sait que l’on peut identifier les athlètes concernés six ans avant l’échéance. Ce qui va se passer en 2018 est donc très important pour la réussite des Jeux de Paris. Les résultats des championnats d’Europe de Berlin mais aussi des Mondiaux juniors, l’été prochain, vont être les socles de la construction de l’olympiade de 2024.

Pour les Jeux de Tokyo, les athlètes sont déjà connus. A Berlin, on verra ceux qui sont déjà en haut et qui vont maintenir leur niveau jusqu’à 2020, ceux qui sont en déclin et s’arrêteront bientôt et au contraire ceux qui sont en pleine émergence.

Comment fait-on pour travailler auprès d’athlètes aux profils si différents ?

Nous avons choisi de mettre en place des pôles différenciés. En haut, il y a celui de la performance olympique. Il accompagne les athlètes qui sont concernés par les JO à venir. La direction technique nationale doit être un facilitateur de leur projet.

En dessous, on trouve le pôle d’accès à la performance olympique. Dans chaque spécialité (sprint, demi-fond, fond, sauts, lancers, épreuves combinées et marche), un binôme de référents sera chargé du suivi d’athlètes qui auront Paris 2024 en ligne de mire.

Ce travail englobe l’émergence de l’athlète autour de ses 16 ans jusqu’à la possibilité de le rendre médaillable. Il faut éviter les ruptures de générations. Nous avons aujourd’hui des triples sauteurs et des perchistes. Dans six ans, il ne faudra pas se demander où ils sont passés…

À l’inverse, comment corriger les lacunes de l’athlétisme français dans des spécialités comme les lancers ou le saut en hauteur par exemple ?

Avons-nous un problème de génération, de formation initiale ou d’accompagnement dans les disciplines les plus faibles ? C’est dur à dire et c’est pour cela que l’on a élargi la notion de collectif national. Le principe est de repartir de la base, car chaque athlète naît dans un club.

Il faut identifier les potentiels talents sur le terrain et faire en sorte qu’ils puissent émerger au plus haut niveau, d’où la mise en place des pôles de la performance en territoire au sein de nos ligues régionales. En 2024, l’objectif fixé est d’avoir au moins un et une athlètes qualifiés pour les JO dans chaque spécialité.

Combien avez-vous identifié d’athlètes en vue des Jeux de Tokyo ?

Il y en a une trentaine pour 2020. On l’a vu à Londres : si on avait tenté de prévoir les médaillables et les finalistes, on serait tombé à côté de la plaque. Qui aurait pu prédire cet été la cinquième place mondiale du perchiste Axel Chapelle ? Il est important de travailler avec une masse un peu plus importante et d’essayer d’être encore plus proche de ceux qui semblent pouvoir viser une médaille.

Après avoir été adjoint de Ghani Yalouz, vous lui avez succédé au poste de DTN en avril. Quel est votre premier ressenti ?

Je suis dans l’équipe depuis 2012. A Londres, en plus du bon bilan, j’ai senti des choses très positives. Pour la première fois, on a accueilli les entraîneurs personnels de nos meilleurs athlètes. D’ailleurs, ceux qui avaient leur coach ont réalisé de très bons championnats.

C’est la fin de la bataille entre cadres nationaux et entraîneurs personnels ?

On doit être tous ensemble autour des projets. Je veux avoir des personnes utiles à l’équipe et à la performance. Les athlètes et leurs coachs doivent se sentir libre d’aller au bout de leur aventure. Il faut leur donner les moyens de réussir.

Vous venez du handisport. En quoi cela peut-il vous aider ?

J’ai été athlète paralympique mais aussi entraîneur. J’ai eu 100 % de mes athlètes médaillés aux Jeux paralympiques. Je suis toujours parti de la singularité de chacun pour construire autour. En handisport, c’est obligatoire, car on part des aptitudes motrices restantes. Je pense que l’athlétisme français a besoin de travailler sur ce point, à l’image des pays anglo-saxons, en avance sur nous, qui ont cette capacité de s’appuyer sur l’individu.

Les championnats d’Europe de Berlin seront capitaux pour votre stratégie à venir. Vous n’êtes cependant pas partisan de donner un objectif précis de médailles lors des grandes compétitions…

Si, je fixe des objectifs : à Berlin, on espère 20 médailles, puis entre trois et cinq aux Mondiaux 2019 de Doha et autant aux Jeux de Tokyo. Mais ce ne sont que des objectifs, et non des pronostics ou des prédictions. Si j’annonce quatre médailles d’or à tels championnats, les athlètes vont se compter entre eux, et se dire mince, il ne compte pas sur moi…

Le débriefing de Berlin sera important, mais il ne faudra pas prendre les résultats bruts. En demi-fond long, par exemple, cela n’aura pas le même sens, en l’absence de l’Afrique ou des Etats-Unis. On débriefera aussi avec intérêt les Mondiaux juniors et les championnats moins de 18 ans.

En 2019, de nouveaux critères de sélection en grands championnats, fondés sur un classement, seront mis en place par la Fédération internationale. Qu’en pensez-vous ?

Nous n’avons pas encore les détails, mais je n’y suis pas défavorable. Cela va permettre à des athlètes réguliers d’être récompensés et également de lisser certaines performances étranges.

Vous pensez au dopage ?

Au dopage et à la triche. Une étude sur le lancer de marteau masculin a montré qu’il y avait en moyenne dix mètres de différence entre les performances en période de sélection et celles en championnat. On peut se poser la question. Peut-être que certains pays créent les meilleures conditions chez eux pour que leurs athlètes se qualifient à tout prix.