« Johnny est mort ». Trois messages d’amis d’enfance aujourd’hui éparpillés dans le monde m’ont ainsi communiqué la mort de Johnny. Johnny était le nom du quatrième des trois mousquetaires que nous formions, ados. Son rôle dans la bande était d’aller porter aux filles qui nous plaisaient nos « missives » d’amour et d’autres invitations parfumées à l’eau de Cologne. Je n’avais plus eu de nouvelles de lui depuis plusieurs années. Johnny était plutôt malhonnête, mentait comme on respire, ce qui peut-être lui donnait cette compétence de nous rapporter des filles sur un plateau. On l’aimait malgré tout, il venait d’une famille démunie et s’était incrusté on ne sait comment dans notre bande désormais à 3+1. Sa présence seule donnait un sens au groupe qui avant lui n’était qu’une caste. Mais ce n’est pas ce « Johnny » qui est mort. En Afrique, on dit Johnny Hallyday. « Johnny » tout court est source de confusion.

Quelle année, cette année-là !

Au Cameroun, c’est à ma mère que j’ai raconté ma confusion et ma méprise d’avoir perdu un ami déjà perdu de vue, avant que je comprenne que sa non-mort signifie la mort DU Johnny, l’artiste de légende. Elle m’a aussitôt rétorqué comme si elle avait vécu la scène survenue il y a près de 50 ans à Yaoundé  : « un ministre avait tapoté les fesses d’une de ses danseuses et Johnny avait giflé le ministre. On l’avait immédiatement refoulé. »

Il faut savoir que Koffi Olomidé l’un des papes des pistes de danse du continent depuis des décennies a souvent frappé ses danseuses. On lui en a tenu rigueur une fois. Mais dans les années 60, une femme, ça n’était qu’une femme. Et une danseuse alors, c’était moins qu’une femme. Bien moins qu’une secrétaire. Mais l’idole des jeunes français, qui menait alors sa troisième tournée africaine, ne l’entendait pas de cette oreille et avait donné une claque de rockeur au ministre.

J’ai douté de l’anecdote de maman et ai été redirigé vers une version tirée d’une source d’autorité, Twitter, pour me voir confirmer que Johnny Hallyday avait bien été expulsé du Cameroun avant son concert, mais que sa version des faits était sensiblement différente : « Un type que je ne pouvais évidemment pas connaître a dit des choses désagréables à notre sujet, notamment parce que nous avons les cheveux longs. Il m’a bousculé. J’ai protesté. Puis, il m’a empoigné en déchirant mon polo. »

Est-ce la raison pour laquelle il n’est plus revenu après ? Un an plus tard, le président Ahmadou Ahidjo asséna qu’« Il n’y a pas de place pour le comportement yéyé » au Cameroun.

Laura

Laura a été le premier amour de ma vie. Ou peut-être le deuxième. Parce qu’il y a eu Nadia avant. Et j’ai rencontré « Laura » grâce à l’entremetteur toujours vivant Johnny, et avec Laura j’ai vécu mes premiers émois, mes premières nuits hantées, mes premiers réveils étonnés. J’écoutais en boucle la chanson de Johnny Hallyday, découverte au moment précis de mon amour naissant. Je pensais que Laura était l’amoureuse de Johnny Hallyday et non sa fille. Il criait son amour pour Laura et moi je ressentais m’imprégner toute la passion inspirée par Laura. La chanson était un pousse-à-l’amour, j’ai aimé Laura en me dopant à la voix de Johnny criant LAURA.

L’intelligence des plus grands artistes est peut-être de durer, de s’inscrire dans la durée au-delà du temps partagé, celui de sa résistance contre la maladie, contre les modes, contre le temps, contre les échecs de ses tout débuts, contre ses avis répétés de décès, contre les rumeurs, contre l’instabilité de toute vie d‘artiste… Il n’est pas mort seul, d’overdose, dans une chambre comme un rockeur (pardonnez-moi ce cliché), mais entouré, avec les siens, il a eu une belle vie et je crois une belle mort, c’était un rockeur au cœur tendre. C’est le chanteur qui fait la différence, pas ses chansons…. Il en a d’immortelles, d’inoubliables bien sûr, ce n’est que par elles que je le connais, mais à l’heure du départ les fans, les suiveurs sont un peu orphelins, nous avons des souvenirs souvenirs, l’envie d’avoir toujours envie de lui, mais le moment du départ est une épreuve. Car il n’est jamais revenu en Afrique comme il en avait émis le souhait.

Un patrimoine francophone

Il ne reste plus qu’à espérer que ceux qui ont la charge de veiller sur son héritage feront en sorte qu’il soit présent en Afrique. Il existe mille et une façons de le faire vivre aujourd’hui. Les Instituts français feraient bien de nommer en son honneur les salles de spectacles qu’elles abritent. Parce que Johnny Hallyday malgré son nom américanisé était un patrimoine francophone.

Il a été fredonné, dansé, mais rarement imité. Tous les chanteurs français à succès ont souvent été repris par des artistes africains mais pourquoi les multiples succès de Johnny Hallyday ont-ils été si lents à être copiés ? Parce que le rock était considéré comme une musique démoniaque. Et ce sont les plus diaboliques, les rasta, qui sont aujourd’hui les premiers à lui rendre hommage, en déclarant comme Alpha Blondy qu’il était « un pan de notre mémoire culturelle pour les gens de ma génération ».

Espagnol, italien, japonais… Johnny a chanté « Que je t’aime » dans plusieurs langues
Durée : 01:35

Je ne suis pas de cette génération mais il fait aussi partie de ma mémoire culturelle et affective. J’ai aimé aimer Laura en écoutant et réécoutant Laura. En cela, je suis comme ceux des générations d’avant : « La chanson, dit Alpha Blondy, que j’ai beaucoup aimée est son duo avec Sylvie Vartan’J’ai un problème’. Cela nous aidait à draguer les filles ». Ouiiiii. Mais moi j’étais un sensible, je ne les draguais pas, je les aimais systématiquement et elles trouvaient que j’étais différent. Laura si tu me lis, je t’ai aimée.

Eric Essono Tsimi est écrivain et professeur de français à l’université de Virginie, Charlottesville