L’Assemblée nationale, en juin 2015. / JOEL SAGET / AFP

L’avis est tranché. La déontologue de l’Assemblée nationale critique vivement les nouvelles règles de frais de mandat des députés. Dans un rapport confidentiel publié par LCP le 4 décembre, Agnès Roblot-Troizier, juge le dispositif « très en deçà » de l’objectif de transparence et de moralisation de la vie publique. A ses yeux, les dépenses des élus ne pourront faire l’objet que d’« une vérification comptable partielle et imparfaite ». Et le dispositif retenu « ne permet [tra] pas à la déontologue de contrôler que les dépenses des députés correspondent à des frais de mandat comme le prescrit la loi ».

Cette juriste, professeure de droit public, connaît bien le sujet : c’est elle qui sera chargée, à partir du 1er janvier 2018, de contrôler les députés sur l’utilisation de leurs frais de mandat… Agnès Roblot-Troizier a fait part de ses doutes devant le bureau de l’Assemblée, le 29 novembre, avant l’adoption du nouveau dispositif.

Celui-ci prévoit des règles plus strictes pour l’utilisation et le contrôle de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Cette enveloppe de 5 373 euros net par mois que les députés touchent en plus de leur « salaire » pour couvrir des frais exclusivement liés à leur mandat (6 110 euros pour les sénateurs). Jusqu’alors non contrôlée, l’IRFM sera davantage encadrée car une liste des principales dépenses autorisées et interdites a été édictée. En revanche, plutôt que d’effectuer un remboursement chaque fin de mois, sur justificatifs, comme cela est le cas dans la plupart des entreprises privées, les députés disposeront toujours d’une « avance » de 5 373 euros, dont 600 euros par mois pourront être dépensés sans justificatifs.

« Le dispositif perfectible »

Quant au contrôle, la déontologue le pratiquera de manière aléatoire sur seulement 120 députés par an sur les 577 que compte l’Assemblée. Insuffisant pour Agnès Roblot-Troizier, qui craint que la majorité des élus du Palais-Bourbon ne passe au travers. « Le dispositif prévu ne semble envisager aucune vérification comptable des dépenses des députés qui n’auront pas été tirés au sort », déplore-t-elle. L’ensemble des élus devront toutefois garder leurs justificatifs – au cas où ils seraient contrôlés – et transmettre tous les ans leurs relevés bancaires. Toujours insuffisant, à ses yeux : elle craint qu’il ne soit « aisé » pour les députés d’imputer sur leurs frais de mandat des dépenses privées. A la place, elle aurait préféré « une vérification comptable » pour « s’assurer qu’à chaque dépense corresponde un justificatif ».

Son avis tranche avec celui du président de l’Assemblée, François de Rugy, qui a vanté « un arsenal de règles qui n’avaient jamais existé ». Son entourage souligne que cet avis de la déontologue avait été présenté « sur la base d’un document de travail », et qu’une partie de ses observations ont été « prises en compte » dans le document final. Notamment la dématérialisation des justificatifs et la possibilité pour un député de recourir à des comptables.

Reconnaissant que « le dispositif est perfectible », la présidence de l’Assemblée préfère souligner les avancées apportées : « Même si le dispositif ne va pas aussi loin que certains le voudraient, cette réforme instaure un vrai changement de modèle car jusqu’à présent, les députés n’avaient à justifier de rien et dans le passé, il n’y avait aucun contrôle. » Avant de préciser que ce texte n’est qu’un premier « pas en avant » : « On partait de zéro en matière de contrôle sur l’IRFM et le dispositif est amené à évoluer. Il sera possible de l’améliorer en y apportant des ajustements, au fur et à mesure, si nécessaire. Rien n’est figé. »