L’avis du « Monde » – à voir

On avait découvert, il y a quelques mois, Darius Merhjui avec La Vache, réalisé en 1969, et justement remarqué lors de cette sortie tardive. Le même distributeur propose désormais un film de 1997, lui aussi jusqu’à présent inédit, Leila, qui confirme le talent d’un auteur tout à la fois prolifique et encore méconnu.

Leila et Reza forme un couple heureux de la grande bourgeoisie de Téhéran. Pourtant, il apparaît de plus en plus évident, après plusieurs mois de mariage, que la jeune femme ne pourra pas avoir d’enfant. Sa belle-mère n’a dès lors plus qu’une seule idée en tête : remarier son fils avec une jeune fille qui pourra lui donner un petit-fils. Tout d’abord rétif à une telle perspective, le couple va peu à peu s’incliner devant les douces mais terribles supplications de la femme. Ce qui va ressembler tout d’abord à un jeu lorsque l’homme rencontre diverses prétendantes et s’en amuse avec son épouse, nourri peut-être de l’illusion de pouvoir contourner cette exigence procréatrice, va devenir une situation intenable lorsqu’il semble avoir trouvé celle qui pourrait être la future mère de son enfant.

Scénario « à sujet »

Leila a tout du scénario « à sujet », installant une fiction déterminée par ce que l’on pourrait appeler un fait de société, désignant les prescriptions d’un ordre social qui soumet l’individu à une exigence de conformisme. Pourtant, dans la manière dont le cinéaste dénaturalise le récit, installe une sorte de distance, le film va dépasser la simple dénonciation pour mettre à nu les contradictions à la fois sociales mais aussi psychologiques qui nourrissent la situation décrite. C’est un récit à la première personne. C’est en effet la voix de la jeune femme qui guide le spectateur au cœur d’un monde dont on désignera parfois la dimension artificielle par des adresses frontales à la caméra ou un usage subtil de fondus enchaînés qui sont comme une manière pour le réalisateur de casser l’évidence réaliste afin de rendre perceptible une réalité plus subtile et plus cachée, une réalité que la mise en scène effleure ainsi avec tact.

Les va-et-vient automobiles récurrents provoquent la sensation d’un tissage quadrillant le monde dépeint

La structure du film et son montage semblent au service d’une pulsation bien précise, une scansion créée par les nombreuses scènes d’intimité entre le mari et l’épouse, filmées à l’intérieur de leur voiture en mouvement. Les trajets de l’automobile tout en dévoilant une réalité urbaine fait d’autoroutes et d’embouteillages, de rocades et du paysages urbains pluvieux, défilent à travers le pare-brise alors que le sort des protagonistes se jouera sur la décision qu’ils prendront. Ces va-et-vient automobiles récurrents provoquent ainsi la sensation d’un tissage quadrillant le monde dépeint. De la même façon, les tenues des femmes du film, tchador ou hijab, toutes sombres, forment régulièrement de menaçantes tâches opaques et dévitalisantes.

Car loin de décrire une société simplement patriarcale, où les hommes enjoindraient aux femmes de rester à la place qui leur est concédée, le film montre le sourd et implacable pouvoir des mères tout autant qu’une servitude, qui n’est autre que volontaire, des femmes elles-mêmes. Les personnages masculins sont soit faibles (le mari indécis), soit enfantins (l’oncle), soit révoltés (le beau-père) mais renvoyés, dès lors, dans un hors-champ inoffensif. Ainsi peut-on voir Leila comme l’impitoyable récit d’un personnage consentant à sa propre négation.

[Bande-annnonce] LEILA • avec Leila HATAMI • LE 6 DÉCEMBRE 2017 au cinéma
Durée : 01:17

Film iranien de Darius Mehrjui. Avec Leila Hatami, Ali Mosaffa, Jamileh Sheki (2 h 04). Sur le Web : www.splendor-films.com/items/item/528