Des migrants algériens et marocains en décembre 2013. / ANGELOS TZORTZINIS/AFP

C’est l’une des conséquences des difficultés économiques et politiques que traverse l’Algérie. L’émigration, qu’elle soit légale ou clandestine, s’accroît. Selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), entre janvier et fin octobre, 6 397 Algériens sont arrivés illégalement en Europe par les routes de la Méditerranée. Entre juillet et septembre, les Algériens faisaient partie des cinq principales nationalités d’arrivants après la Syrie, le Maroc, le Nigeria et l’Irak.

C’est l’Espagne notamment, confrontée à une hausse générale des arrivées de migrants sur ses côtes cette année, qui a tiré la sonnette d’alarme. Les bateaux de harraga (« ceux qui brûlent les frontières ») se sont entre autres multipliés dans la région de Murcie. Le ministre de l’intérieur espagnol a rencontré l’ambassadrice d’Algérie à Madrid sur ce sujet.

Les départs d’Algériens vers l’Italie sont également en hausse. Rome a annoncé arrêter en moyenne entre trois et huit Algériens en situation irrégulière chaque jour depuis plus d’un an. Début décembre, le ministre algérien des affaires étrangères, Abdelkader Messahel, a rencontré son homologue italien à Rome afin de s’accorder sur « l’impératif » d’une concertation « régulière » sur la question de la migration.

« Fuir le pays »

La hausse des départs ou tentatives de départs est suffisamment importante pour que les autorités algériennes elles-mêmes s’en inquiètent. Entre le 16 et le 18 novembre, 286 personnes ont été interceptées par les garde-côtes algériens. Le ministère de la défense a souligné dans un communiqué « l’ampleur prise par les tentatives de quitter le territoire national de manière illégale ». En 2015, selon les chiffres de l’armée, 1 500 personnes ont été arrêtées alors qu’elles tentaient de quitter le territoire par la mer. En 2017, au 26 novembre, elles étaient 4 913.

Si ces chiffres sont faibles comparés au flux des migrations venues d’Afrique subsaharienne, ils illustrent une tendance, un malaise. « La migration ne s’est jamais arrêtée, mais on a aujourd’hui le sentiment que les Algériens veulent fuir le pays. L’envie de partir semble présente plus seulement chez les jeunes, mais aussi chez les vieux, les riches ou les pauvres, les familles », note le sociologue Nacer Djabi. Le rythme des départs s’était ralenti dans les années 2000, sous l’effet des contrôles renforcés mais aussi, à partir de 2011, en raison des annonces faites par le pouvoir dans le sillage des printemps arabes. Une partie des Algériens a pensé qu’une ouverture du régime pourrait se produire. En outre, des sommes importantes ont été débloquées par Alger pour calmer une éventuelle grogne populaire : à travers des augmentations de salaires et des financements de projets pour les jeunes. « Mais, aujourd’hui, la situation économique se dégrade. Et il ne s’agit pas seulement des faits, mais aussi du discours gouvernemental qui a inquiété », souligne M. Djabi.

L’Algérie, qui tire l’essentiel de ses ressources de la manne des hydrocarbures, subit de plein fouet la chute des prix du pétrole enregistrée depuis 2014. Après avoir longtemps minimisé la gravité de la crise financière, les autorités se sont faites à l’inverse très alarmistes ces derniers mois. Le premier ministre Ahmed Ouyahia expliquait cet automne que le pays risquait de manquer d’argent pour payer les salaires de ses fonctionnaires. Les Algériens sont aussi inquiets de la hausse des prix, de la fin des recrutements dans la fonction publique ou encore des informations qui circulent sur une possible réforme de la politique du logement. A ce climat économique anxiogène s’ajoutent les inquiétudes face à la paralysie politique du pays : Abdelaziz Bouteflika a rempilé pour un quatrième mandat en 2014 malgré son état de santé très affaibli. « Et on a du mal à voir comment la situation pourrait s’améliorer à court terme. C’est comme s’il y avait un surplus de pessimisme », poursuit Nacer Djabi.

Malaise social global

Sur le terrain, les associations sont les premiers témoins de cette envie de départ. « A la veille des élections locales [du 23 novembre], plus de 600 personnes ont tenté de partir en une seule soirée », affirme Kouceila Zerguine, l’avocat du Collectif des familles de harraga disparus en mer à Annaba (est). « Depuis un an ou deux, il y a des jeunes filles mais aussi des familles qui s’en vont, alors qu’habituellement c’était des hommes majeurs qui partaient par la mer », ajoute-t-il, soulignant que les départs de mineurs sont également de plus en plus fréquents.

« Les motivations de départ n’ont jamais changé. Il s’agit d’un malaise social global. Ce n’est pas une histoire de pauvreté. Parfois, ceux qui partent vivent bien, mais ils n’arrivent pas à avoir de visa. On leur a interdit la voie légale », explique-t-il. Selon Me Zerguine, les chiffres officiels de départs ne reflètent d’ailleurs pas toute la réalité : « Ils ne font pas état de ceux qui sont arrivés, ni de ceux qui ont disparu en mer. Il ne se passe pas un mois sans qu’une famille ne nous contacte à propos d’un proche disparu », assure-t-il.

L’émigration clandestine n’est d’ailleurs qu’un visage du phénomène. Le 10 novembre, les images de plusieurs milliers de jeunes Algériens, garçons et filles, venus à l’Institut français d’Alger pour s’inscrire au test de connaissance du français, indispensable pour étudier en France, ont fait le tour du pays. Le quotidien algérien El Watan avait alors titré : « Emigrer pour étudier ou bien étudier pour émigrer ? ». « Les jeunes ont aussi une nouvelle conception des frontières. Ils sont, de ce point de vue, les enfants du nouveau monde », ajoute le sociologue Nacer Djabi qui note une forte diversification de l’émigration régulière, notamment parmi les jeunes diplômés : vers la France, mais aussi vers le Canada, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou encore les Etats-Unis.