New York, 1961. Allen ­Baron, acteur de second plan, illustrateur de ban­de dessinée à ses heures, tourne son premier long-métrage dans la ville. Un polar maniéré et fiévreux, scandé par la voix off d’un narrateur omniscient, qui pourrait aussi bien être Dieu que la conscience de son personnage, Frankie Bono, tueur à gages qui revient dans sa ville natale pour y accomplir une nouvelle et dernière mission. Egalement connu sous le titre de Baby Boy Frankie, Blast of Silence allait connaître un petit succès en salle et une jolie fortune critique – récompensé à Locarno par le Prix de la critique, il sera plus tard encensé par Martin Scorsese, qui le place très haut sur la liste de ses « New York films » préférés.

C’est là, de fait, dans la peinture qu’Allen Baron fait de la métropole, que résidait la saisissante nouveauté du film. Avec Shadows, de John Cassavetes, ou The Connection, de Shirley Clarke, Blast of ­Silence a participé d’une nouvelle manière – à la fois très documentaire, inscrite dans le climat des années 1960 naissantes, et extrêmement graphique –, de représenter New York au cinéma. En emboîtant le pas de son personnage, la caméra serpente sensuellement des trottoirs de Midtown illuminés par les décorations de Noël aux carrefours animés de Harlem jusqu’aux recoins les plus obscurs de l’East Village de l’époque, s’aventurant dans les bars interlopes, les restaurants déserts, les fêtes privées en appartement et autres chambres d’hôtel miteuses… Mue par une connaissance quasi animale de la ville et de ses habitants (voir ce personnage étonnant de jeune margoulin obèse, vivant seul avec ses rats dans un réduit crasseux), elle en brosse ainsi, dans un noir et blanc splendide, assez expressionniste, un tableau miroitant et poétique dont une musique intensément dramatique sculpte les reliefs.

La tragédie à venir

« Venu d’un silence assourdissant, tu es né dans la douleur. Tu portais en toi haine et colère. Une claque sur les fesses a fait jaillir ton premier cri. Tu as compris que tu étais en vie. » Sur un fond noir que perce le scintillement de quelques étoiles, la voix off s’adresse ainsi au personnage dès le début du film, grave et sentencieuse, portant en elle la tragédie à venir.

Associé aux images de la ville, au visage fermé d’Allen Baron, qui joue le rôle principal, ce procédé réactive la tradition, déjà éteinte à l’époque, du film noir en lui imposant une esthétique venue de la bande dessinée. Tandis que le récit, extrêmement ténu, voit le surgissement d’une jeune femme dans sa vie faire dérailler la mission de Frankie, il permet de creuser l’histoire et la psyché de ce personnage taiseux.

Faute de moyens, le réalisateur n’a pas pu retenir Peter Falk pour le rôle, à qui il pensait le confier

Faute de moyens, le réalisateur n’a pas pu retenir Peter Falk pour le rôle, à qui il pensait le confier. Et c’est par là que le film pèche – dans ce rôle qui aurait exigé une présence magnétique, Allen Baron se montre étrangement inexpressif, comme absent à lui-même. La voix off, la musique omniprésente, apparaissent d’autant plus, en retour, comme des procédés ­artificiels qu’on aurait surexploités pour masquer cette faiblesse. Comment un concours de circonstances peut-il conduire à un choix malheureux, aux conséquences funestes ? Cette question qui peut résumer l’intrigue du film fait également écho au destin de son auteur. Allen Baron réalisera encore deux longs-métrages pour le cinéma (Terror in the City, 1964, et Foxfire Light, 1982), mais fera l’essentiel de sa carrière à la ­télévision comme réalisateur de séries aussi lisses que La croisière s’amuse, Drôles de dames ou Shérif, fais-moi peur

Baby Boy Frankie (Blast of Silence) - Bande annonce 1961 VOST
Durée : 01:26

Film américain d’Allen Baron. Avec Allen Baron, Molly McCarthy, Larry Tucker (1 h 17). Sur le Web : lesfilmsducamelia.com/blast-of-silence