TV – « Réparer les vivants »
TV – « Réparer les vivants »
Par Noémie Luciani
Katell Quillévéré adapte avec poésie, mais de manière trop dispersée, le roman de Maylis de Kerangal (sur Canal+ Décalé à 20 h 55).
Réparer les vivants de Katell Quillévéré - Bande-Annonce
Durée : 02:01
Après la retenue néo-dardennienne qui donnait ses couleurs subtiles à Suzanne, difficile d’imaginer entrée en matière plus différente que celle de Réparer les vivants, quatrième long-métrage de Katell Quillévéré, tant on y retrouve la réalisatrice lancée sans demi-mesure à la conquête du lyrisme.
Un jeune couple dans un lit s’y regarde, à moitié endormi. Lui se lève et sort par la fenêtre, Roméo quittant Juliette à l’aube pour un autre amour : le surf. Tout cela n’est que tendresse, puis viennent les vagues, l’ivresse de l’eau tourbillonnante, de la vitesse et des images lacées de tentations expérimentales lorsque le paysage traversé plus tard en voiture se transforme en une vague immense, à laquelle le véhicule se heurte. Dans cette amplitude cosmique qu’a alors pris le récit, l’accident qui coûte la vie au jeune homme ressemble à la chute d’un ange.
Il faudrait laisser à cet incipit, au nouveau souffle qu’il adopte et qui va si bien à la réalisatrice, le droit d’exister pour eux-mêmes sans s’embarrasser des défauts de la suite. Adaptant le roman où Maylis de Kerangal raconte comment l’accident mortel permettra, par le don des organes, de sauver d’autres vies, Réparer les vivants qui démarrait si puissamment s’égare dans le pluriel du titre.
Une temporalité capricieuse
Les vivants (parents, patients, personnel médical) sont trop nombreux pour les embrasser tous. Les bribes de portraits se succèdent sans s’assembler, dans une temporalité étrange et capricieuse. La caméra délaisse vite certains visages (le père du jeune défunt intensément interprété par le rappeur Kool Shen), puis se fige presque face à cette patiente épuisée en attente d’un cœur (Anne Dorval), comme pour contraindre par son immobilité solennelle tout le mystère de la vie suspendue à entrer dans le plan.
A rebours d’un tel parti pris formel, fort, les séquences hospitalières sont timides, semblent reculer avant d’avoir relevé leur défi propre – trouver encore quelque chose de neuf à montrer et à dire de ce monde à part qu’est l’hôpital que le cinéma a déjà tant peint.
Lorsque le film se trouve, pourtant, dans ce qu’il dit et la forme qu’il prend, il est superbe. Au cœur de son sujet, il se dessine en infimes détails : le regard ébloui au-dessus du masque de la jeune interne assistant à une greffe de cœur, et qu’Alice de Lencquesaing fait mieux exister avec sa délicatesse et en quelques morceaux de scènes que d’autres acteurs plus investis dans leurs intentions de jeu. Dans les parenthèses de son sujet, il se laisse traverser d’instants dérobés à l’urgence de l’hôpital, qui en font un tableau en creux bien plus intéressant, et plus inattendu, que celui qu’il s’efforce de peindre de face.
Ce ne sont parfois que quelques mots, accessoires en apparence mais qui construisent, sur le squelette mal assemblé de l’histoire, une peau : Tahar Rahim derrière son bureau, confiant à deux infirmières interloquées qu’il rêve de posséder un oiseau rare, avec des mots d’enfant qui s’endort et s’imagine un monde où chaque « X » marqué sur une carte indiquerait l’emplacement d’un trésor. Poésie simple et puissante, faisant oublier un instant l’éclatement contre-nature de cette histoire aimantée au corps d’un seul mort, et la frustration mélancolique que fait naître ce film qui se cherche sans bien savoir ce qu’il désire être, et la forme qu’il désire prendre.
Réparer les vivants, de Katell Quillévéré. Avec Tahar Rahim, Alice de Lencquesaing (Fr., 2016, 100 min).