« On a eu un jour une idée débile et elle a pris une ampleur démesurée et nous a fait vivre des choses incroyables. » C’est ainsi que Samuel Buisseret introduit son aventure de créateur de série sur un super-héros sauveur de soirées. Une véritable épopée qu’il vient d’achever, plus de quinze ans plus tard, avec la publication en ligne de deux épisodes pilotes sur YouTube, le 2 décembre.

Saturdayman est né au début des années 2000 lors d’une soirée bruxelloise arrosée entre Samuel Buisseret et ses amis, qui décident de composer et d’enregistrer « à l’arrache » une chanson hommage aux génériques de leur enfance.

Ce héros en spandex un peu imbu de lui-même combat aux côtés de quatre acolytes : Force Drunk, Force Dance, Force Joke et Force Sex pour contrecarrer les plans de sa Némésis, le Grand Sommeil, un super-vilain qui entend supprimer la fête et envoyer au lit les citoyens avec les poules. Inspiré en partie de l’esthétique des « sentai » et des animes japonais, mais aussi des blockbusters américains des années 1980, le projet sera souvent qualifié de « Bioman belge ».

La chanson aurait pu être remisée avec la gueule de bois du lendemain. Mais Samuel Buisseret, qui, en plus de faire ses armes comme graphiste de cinéma, compose de la musique, éprouve la chanson à la fin de ses sets dans des concerts électro « underground ». De là naît l’envie de réaliser un clip dont le chant serait confié au pape du générique vintage, Bernard Minet. Une envie qui ne se concrétisera pas, mais qui continuera de germer jusqu’au début de la décennie 2010, où Samuel Buisseret décide de persévérer, sans le chanteur de Bioman.

Enorme culot

Samuel Buisseret donne des instructions sur le tournage de SaturdayMan à Mons en juillet 2016. / Vlad VDK

Le réalisateur griffonne alors sur « un demi A4 » une ébauche de scénario et engloutit ses gains en tant que graphiste sur le film Un heureux événement pour tourner un court-métrage avec des acteurs amateurs, des copains, qui seraient doublés en post-synchronisation avec des voix connues. Samuel Buisseret se chargera également de la musique et des effets spéciaux. Et chaque défi technique l’amène à rencontrer des personnes qui viendront grossir durablement les rangs de la « SaturdayTeam ». « On n’a pas tous la culture geek de Samuel, bien au contraire. Par exemple, on m’a appelée à la base parce que je suis modèle photo, et puis Samuel et les autres sont devenus des amis », explique Alexandra Dechmann, qui interprète Force sex, la seule super-héroïne du casting.

C’est aussi son énorme culot et son talent pour fédérer les gens qui lui permettent, en 2011, d’approcher et d’embarquer des ambassadeurs de choix dans l’aventure : le très populaire présentateur Marcus, mais aussi les comédiens Brigitte Lecordier et Eric Legrand, « des légendes » qui ont notamment prêté leur voix à des personnages de Dragon Ball, acceptent de jouer un rôle. « Je suis un des types au monde qui a le plus de dettes envers ses amis », lance le réalisateur de 36 ans.

SaturdayMan - short film 2012
Durée : 15:00

Si l’œuvre reste relativement confidentielle en ligne et sur les réseaux sociaux, le bouche-à-oreille fera de Saturdayman l’un des coups de cœur du public dans les conventions hexagonales en 2011 et 2012. Le premier épisode n’est toujours pas sorti que déjà de nombreuses personnes passent à leur stand pour savoir ce que bricole cette bande de Belges en costumes moulants. « Saturdayman a grandi dans les conventions. Certains publics, comme à Toulouse, nous ont réservé un accueil de folie », se souvient Federico Pete Trenado, 39 ans, qui endosse depuis le début le costume de Saturdayman. Un engouement qui sera décuplé quand Samuel Buisseret annoncera que les studios Ankama, qui à Roubaix produisent les jeux vidéo Dofus et Wakfu, lui commandent une saison entière. Après un tournage douloureux des premiers épisodes, cette collaboration s’arrête brusquement en 2013. « C’est un coup de massue, la belle success story qui s’arrête en une traite », explique Samuel Buisseret, qui va passer les deux années suivantes à essayer de sauver son projet.

Serpent de mer

Le réalisateur amateur ne manque pas d’anecdotes et de rebondissements. A la manière d’un Lost in la mancha, il décide de raconter le making of de son projet dans un vlog en 2015. Soit une quarantaine d’épisodes des « aventures des aventures de Saturdayman », qui se révèlent peut-être même plus passionnants que la série elle-même et sont une mine d’expérience pour les créateurs de projets audiovisuels indépendants. « Si j’avais pu voir un témoignage comme celui-là avant de me lancer, j’aurais gagné du temps », estime le Bruxellois.

Making of #06 - Scénario, plâtre et shooting photo
Durée : 08:23

En publiant ce vlog, Samuel Buisseret espérait autant mettre à mort le serpent de mer vieux de 15 ans que raviver la flamme Saturdayman. Il lance donc dans la foulée une cagnotte en ligne de 15 000 euros pour financer le tournage d’un nouveau pilote : si la cagnotte se remplit, le super-héros reprendra du service. Sinon, il raccrochera définitivement les gants.

Un tournage plus pro

La cagnotte explose et triple son objectif, certains fans ayant même déboursé 1 000 euros ; la « Saturday Team » repart sur un nouveau tournage l’été suivant, entre Bruxelles et Mons. Une grande partie de l’ancienne équipe rempile pour recréer une toute nouvelle série Saturdayman. Le casting est complété par d’autres comédiens professionnels.

Princesse, au premier plan, entourée de l’équipe et du casting. / Vlad VDK

Au début de l’été 2016, les riverains de l’Event club, boîte de nuit située à l’extérieur de Mons, n’ont jamais vu autant d’agitation autour du club en pleine journée. Une cinquantaine de personnes vont et viennent depuis le matin, certaines à moitié déguisées en super-héros. Parmi eux, Quentin « Kwen » Declerck, qui incarne Force Joke. « Pour ce tournage-ci, j’y ai mis plus d’efforts, j’en ai fait un enjeu. Les gens nous attendent au tournant et je me suis préparé comme un acteur », explique-t-il.

A l’intérieur, Samuel Buisseret donne quelques directives aux clones bleutés, les sbires du Grand Sommeil. Princesse, incarnée par Emilie De Vos, la compagne de Samuel Buisseret, est retenue à côté prisonnière de fausses chaînes qui n’arrêtent pas de se détacher. Federico-Saturdayman tente de se concentrer pour retenir son texte. Il faut avancer vite car l’après-midi est consacré au tournage des effets spéciaux des bagarres entre les forces et les clones. Les explosions de têtes et de parties génitales seront réalisées par des spécialistes.

Une équipe professionnelle s’occupe des effets spéciaux sur le tournage de SaturdayMan en juillet 2016. / Vlad VDK

« Sam est beaucoup plus pro, sérieux et attentif. Il a étudié l’écriture depuis le dernier tournage », assure-t-on parmi les anciens. Il règne toutefois une certaine tension sur le plateau installé au milieu des lumières disco. L’équipe professionnelle de cameramen est un peu désarçonnée par le brouhaha alentour. Comme les dialogues seront enregistrés après le tournage, le réalisateur n’a pas besoin de requérir le silence. Et le plateau se prête à de nombreuses retrouvailles entre les anciens bénévoles. « Cela a pu parfois créer des chocs entre les bénévoles et l’équipe caméra pro. Je me suis retrouvé à travailler avec des gens de haut vol, comme si ma première voiture était une Ferrari. L’expérience fut dure mais très positive au final », confesse Samuel Buisseret, quelques mois après le tournage.

SaturdayMan 2017 - S01E01 / E02 / EX - La série eighties de l'an 2000
Durée : 33:23

Les fans ont d’ores et déjà livré des avis mitigés dans les commentaires de la vidéo postée, samedi 2 décembre, sur YouTube et qui dévoile les deux premiers épisodes ainsi qu’un aperçu de la suite. Samuel Buisseret espère avec ces pilotes pouvoir convaincre des producteurs de financer une saison complète et montrer qu’il a les capacités de produire une série. Si l’on ne sait pas encore si Saturdayman repartira donc pour de nouvelles aventures, son créateur, lui, s’est déjà lancé un autre défi avec Sunday Pistols, une société de production née de Saturdayman : s’imposer dans le registre « très déserté » du cinéma de genre belge.