Ce n’est pas la réunion de la dernière chance, mais elle devrait compter pour l’avenir du marché des VTC (voitures de transport avec chauffeur). Vendredi 8 décembre, la ministre chargée des transports, Elisabeth Borne, devait recevoir l’ensemble des représentants des chauffeurs et des sociétés pour faire un point sur l’application de la loi Grandguillaume ; celle-ci prévoit notamment d’interdire aux conducteurs salariés relevant du statut dit « LOTI » (pour « loi d’orientation des transports intérieurs »), théoriquement cantonnés au transport collectif, d’exercer le métier de chauffeur de VTC.

Pour Uber, Chauffeur privé et les autres plateformes de mise en relation, la fin des LOTI va créer un véritable choc, avec le retrait de plusieurs milliers de chauffeurs de la route. Selon ces entreprises, environ 10 000 personnes pourraient perdre leur emploi le 29 décembre au soir, jour d’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

« On est en train de préparer le plus grand plan social de ces dix dernières années ! », s’inquiète Yanis Kiansky, le patron d’Allocab, une plateforme française. Et ce, alors que la demande de courses ne cesse de progresser, juge-t-il avant d’ajouter : « Aujourd’hui, il y a 30 000 chauffeurs de VTC à Paris, quand il y en a deux fois plus à Londres ou à New York. Nous avons besoin de croître encore. »

La baisse du nombre de chauffeurs va entraîner mécaniquement l’augmentation des temps d’attente des clients, ainsi que la multiplication des « surge price », ces prix fortement augmentés lors d’un pic de demande.

Baisse globale du nombre de chauffeurs

Face à l’alarmisme de ces sociétés, le ministère des transports estime pour sa part qu’en 2017, environ 7 000 chauffeurs ont ou vont accéder dans l’année au statut de VTC, dont 5 000 par équivalence (après un an de pratique) et 2 000 autres par examen. Toujours selon l’administration, de 1 500 à 2 000 dossiers déposés avant la fin de l’année seront traités d’ici à la fin janvier 2018.

Conséquence, il y aura bien une baisse globale du nombre de chauffeurs, mais de moindre ampleur que celle annnoncée par les plateformes. Cela ne les satisfera pas pour autant. Les sociétés de VTC restent très remontées notamment contre les modalités de l’examen pour devenir chauffeur. Alors qu’ils ont poussé, et souvent financé, des conducteurs pour s’inscrire aux examens, beaucoup ont échoué.

Il faut dire que les sept épreuves écrites de l’examen théorique sont particulièrement pointues. Florilège de questions posées : « Quelles sont les sanctions possibles en cas d’exercice illégal d’une des professions du transport particulier privé de personnes ? » ; « Qu’est-ce que le chiffre d’affaires ? » ; « To demand signifie exiger, demander ou supplier ? » ; « Puis-je être minoritaire d’une entreprise individuelle ? » ; « Que signifient les sigles RSI et Urssaf ? » ou « Qu’appelle-t-on un service premium ? »

Si certaines questions demandent un peu de logique, d’autres demandent une sérieuse préparation. Et les taux de réussite sont très bas. A la fin octobre, dans les huit départements d’Ile-de-France, il s’établissait à 34 % (en moyenne pour les épreuves écrites d’admissibilité), selon nos calculs.

Un examen « très difficile »

Alors qu’en mai, l’examen avait affiché un taux de réussite des épreuves écrites de 78 % dans la région capitale, ce taux a chuté à 18 % pour la session de mi-octobre. « Le taux de réussite est très variable d’un département à l’autre, d’une session à l’autre », confirme le ministère. Dans le Val-d’Oise, un seul candidat sur 84 a réussi le concours le 17 octobre. Le 31 octobre, dans le même département, ils étaient 18 sur 42…

Quant au taux de réussite final, après l’épreuve pratique, il est d’à peine 20 %… « Cet examen est extrêmement difficile pour un public qui est souvent très fâché avec l’école », se plaint Yanis Kiansky d’Allocab. « Quand on prépare sérieusement l’examen, il est faisable, juge Fabian Tosolini de la CFDT. Tous les conducteurs que nous avons accompagnés pour préparer ce concours l’ont obtenu. »

Début décembre, Uber a annoncé le lancement, tardif, d’une formation en ligne destinée à ses quelque 10 000 conducteurs LOTI. La société américaine s’inquiète cependant non seulement de la difficulté, mais aussi du faible nombre de sessions d’examen à venir – à peine six en 2018 – qui ne peut que brider le marché.

« Les sessions ne sont pas pleines, répond-t-on au ministère. Celle du 19 décembre n’affichait pas complet il y a encore quelques jours. Pour 2018, près de 9 000 places seront ouvertes aux examens et, vu le rythme actuel, cela devrait suffire. »

Création d’un tarif minimum

En fait, selon une étude du Boston Consulting Group commandée par Uber, « l’examen VTC est plus sélectif, couvre plus de thématiques, et prend plus longtemps que les modèles similaires à l’international. Le coût temporel, le coût financier et la difficulté des épreuves découragent des candidats motivés. »

Au-delà des examens, la réunion de vendredi devait également aborder la question de la création d’un tarif minimum. « C’est le principal objectif de cette réunion », juge Sayah Baaroun, du syndicat SCP VTC. Même ligne pour FO-CAPA-VTC ou pour la CFDT. « Un groupe de travail avait été lancé au printemps. Il faut le relancer rapidement », juge Fabian Tosolini (CFDT). Pourquoi pas, juge M. Kiansky : « Il faut que les chauffeurs puissent vivre décemment, quitte à mettre en place un tarif minimum. » Une position que ne partagent pas toutes les autres plateformes, qui estiment que l’abaissement des prix a permis l’essor du marché. Avec une remontée des tarifs, il risque de s’atrophier.