Des militants basques du mouvement « Artisans de la paix », devant la prison de Réau (Seine-et-Marne), le 7 décembre. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

C’est une démonstration de force et d’unité que les Basques comptent faire, samedi 9 décembre, à Paris. Les organisateurs de cette manifestation pour demander « la fin du régime d’exception pour les détenus basques » promettent la venue de 10 000 personnes devant la tour Montparnasse au moyen de deux trains spéciaux et de cars. La société basque dans la diversité de ses composantes politiques est aujourd’hui unanime sur cette question des prisonniers.

La principale revendication porte sur le rapprochement des 62 personnes détenues, dont treize femmes, réparties dans une vingtaine de prisons françaises. Presque toutes sont condamnées, et quelques-unes encore prévenues, pour des délits ou des crimes liés au terrorisme basque. « Leur distance moyenne avec le Pays basque est de 645 km », affirme Anaiz Funosas, coprésidente de Bake Bidea (« Le chemin de la paix »), l’un des mouvements à l’origine de la manifestation.

La communauté d’agglomération Pays basque qui regroupe les 158 communes côté français a adopté, le 23 septembre, une délibération demandant « au gouvernement le rapprochement des prisonniers, la libération de ceux qui sont malades ou en fin de peine. Nous en appelons, ni plus ni moins, à l’application du droit commun ». Sous la présidence de Jean-René Etchegaray, le maire (Union des démocrtaes et indépendants, UDI) de Bayonne, cette déclaration a été votée à l’unanimité des élus – Les Républicains (LR), MoDem, La République en marche (LRM), Parti socialiste, etc.

L’élément déclencheur de ces revendications était la remise, le 8 avril, aux autorités françaises des stocks d’armes, de munitions et d’explosifs de l’organisation séparatiste ETA. Une opération spectaculaire intervenue presque six ans après le renoncement officiel du mouvement à la lutte armée, le 20 octobre 2011.

Une démarche compliquée

Alors que Madrid et Paris rechignaient à mettre en œuvre un processus politique de désarmement recommandé par la feuille de route arrêtée en 2011 sous l’égide de six personnalités internationales, dont l’ancien secrétaire général des Nations unies (ONU), Kofi Annan, c’est une initiative de la société civile qui a permis d’établir, fin 2016, le dialogue nécessaire au bon déroulement de l’opération du 8 avril.

Le sort des prisonniers est donc l’étape suivante dans le « processus de paix », comme le nomment les responsables basques. « Nous déroulons avec obstination la feuille de route », a justifié le sénateur (LR) des Pyrénées-Atlantiques Max Brisson, le 6 décembre, lors d’une conférence de presse tenue à l’Assemblée nationale par les parlementaires basques.

« Nous devons dénouer un à un les nœuds gordiens. » Vincent Bru, député (MoDem) du même département, se réjouit des premiers « signes positifs » donnés par le ministère de la justice, mais les juge clairement « insuffisants ». Il « regrette que la France n’ait pas pris conscience de l’évolution radicale qu’a connue le Pays basque ».

Une délégation d’élus et de représentants de la société civile a déjà été reçue à deux reprises, en juillet et en octobre, à la chancellerie par la directrice adjointe du cabinet de Nicole Belloubet, Hélène Davo. Il se trouve qu’elle connaît très bien le dossier des etarras – membres de l’ETA – pour avoir été plusieurs années magistrate de liaison en Espagne puis présidente de la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, chargée du terrorisme.

La démarche des Basques est compliquée alors que le gouvernement refuse d’aborder cette question d’une façon politique, globale. Pas question pour Paris de laisser dire qu’il s’agirait de prisonniers politiques. Au ministère de la justice, on affirme qu’« il n’y a pas d’opposition de principe aux demandes de rapprochement des détenus basques à partir du moment où des demandes sont faites, non pas dans un cadre collectif, mais individuel. » Mais, s’empresse-t-on de préciser, il n’y a « pas de droit acquis non plus ».

Pas de rapatriement généralisé

Le terrorisme basque n’est clairement pas la priorité du moment en matière de sécurité pénitentiaire, ce qui facilite un examen des situations individuelles en concertation avec le ministère de l’intérieur et Matignon et en transparence avec Madrid. On reconnaît de source judiciaire que « la grille d’analyse des détenus basques datait un peu ».

Ainsi, sept détenus ont vu ces dernières semaines leur statut de « détenu particulièrement surveillé » (DPS) levé, tandis qu’un condamné atteint d’un cancer a été transféré de Fleury-Mérogis (Essonne) à la prison de Mont-de-Marsan. Le régime carcéral DPS, plus sévère en matière de fréquence des fouilles ou des règles d’isolement, est encore appliqué à 29 etarras.

Des militants devant la prison de Mont-de-Marsan, le 16 novembre, première étape d’un tour de France des prisons qui s’achève à Paris. / MEHDI FEDOUACH / AFP

Plusieurs demandes de rapprochement ou de changement de statut carcéral pourraient recevoir une réponse favorable dans les prochaines semaines, apprend-on de bonne source. Mais il n’est pas question d’un rapatriement généralisé. D’abord, parce que les « historiques » de l’ETA qui sont détenus en France risquent fort de conserver leur statut « surveillé ». D’autre part, en raison du caractère politique de la démarche. « Les détenus condamnés ou les prévenus lors des procès restent dans une logique politique collective, refusant, par exemple, de répondre aux questions », relève un spécialiste de la question basque.

Le mouvement basque fait néanmoins monter la pression. Frédérique Espagnac, sénatrice (PS) des Pyrénées-Atlantiques, estime que la question des prisonniers n’est qu’une étape. « Pour arriver à l’objectif de la dissolution de l’ETA, il faut donner des gages de part et d’autre », affirme-t-elle. Le député Vincent Bru estime pour sa part que « les conditions de succès du dialogue sont réunies », mais il attend « des actes très rapidement, car la société ne pourra pas attendre très longtemps ». Le sujet risque de rester délicat.

Et les Corses ?

La problématique est voisine pour les détenus liés au terrorisme corse. Au ministère de la justice, on « examine avec beaucoup d’attention plusieurs situations individuelles de détenus corses qui ont sollicité leur transfert ». Même si le contexte politique de l’île n’est pas de même nature que celui du Pays basque, le gouvernement montre des signes d’apaisement. Mais la chancellerie n’a pas la main sur l’inscription des condamnés au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes. Celle-ci est décidée par le tribunal ou la cour d’assises qui module les obligations (de 3 ans à 10 ans) au moment de la condamnation.