A Eseka, depuis novembre 2017, la population afflue de tout le Cameroun pour tenter sa chance en fouillant les gisements d’or qui ont été découverts l’année passée. / Josiane Kouagheu

A la mi-novembre, en pleine nuit, Moussa Ousseni reçoit un coup de fil d’un ami d’enfance : « Il m’a dit : “Je suis à Eseka. Viens vite ! Il y a de l’or. Tu peux devenir très riche.” » L’homme de 37 ans aux dents jaunies par le tabac quitte sur-le-champ son village, Bala, situé dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, à la frontière avec le Tchad. Durant six jours, ce père de six enfants traverse « plus de vingt villages et six villes, sur des motos-taxis et dans des bus ».

Moussa arrive à Eseka, commune de plus de 50 000 habitants située entre Yaoundé et Douala, avec un seul objectif en tête : « Gagner beaucoup d’argent ! » Comme lui, de nombreux hommes et femmes venus de tout le Cameroun, mais aussi du Tchad, de la République centrafricaine et du Niger, se ruent depuis plusieurs semaines vers les sites d’orpaillage d’Eseka.

« Dieu pense aussi à nous »

« Après l’accident ferroviaire, le plus meurtrier du pays, qui avait tué plus de 80 personnes le 21 octobre [2016], la ville revit grâce à l’or. Eseka n’est plus seulement rattachée aux morts mais à quelque chose de très positif », s’enthousiasme un notable local.

« On n’oubliera jamais ces morts, renchérit près de lui Alfred Frédéric Lingom, président des patriarches de l’arrondissement d’Eseka. Mais l’or nous prouve que Dieu pense aussi à nous. Depuis le 23 octobre, plus de mille personnes sont là pour ça. »

D’après divers témoignages, c’est René Ntepp Nak, orpailleur traditionnel depuis plusieurs décennies, qui a découvert pour « la première fois, après des recherches avancées », le précieux métal dans la zone, en 2016.

« Cette terre est riche en fer. Là où il y a du fer, il y a forcément de l’or, soutient le vieil homme. N’ayant plus de forces, j’ai sollicité l’aide d’un jeune orpailleur. Durant des mois, nous avons creusé. Nous avons découvert de l’or. Je lui ai demandé de garder le secret, car il fallait réaliser des études. Malheureusement, il a averti ses frères et c’est ainsi qu’avec le bouche-à-oreille des gens ont commencé à venir il y a un mois. »

Ce mercredi matin, armés de pelles, de pioches, de machettes, de cuvettes et de motopompes, hommes et femmes se dirigent vers les chantiers, situés dans des zones marécageuses. Pour y accéder, il faut parfois parcourir à travers la forêt plus d’un kilomètre.

Sur ces sites, des arbres ont été abattus. Torse nu, des hommes creusent. Le sable et la terre qu’ils extraient sont versés, par petites quantités, sur un tapis étalé dans un large tamis. Une motopompe extrait de l’eau de la rivière pour arroser le tout. Les gros grains de sable sont écartés.

« Tout ce qui est fin reste sur le tapis. Ensuite, on verse le contenu dans un grand sac plastique ou dans une cuvette. On y ajoute de l’eau, on secoue, on tamise, on rejette le sable fin et on recueille de l’or », détaille Youssouf, pantalon rouge porté à l’envers et torse nu. Conducteur de camion dans l’est du Cameroun, le jeune homme a abandonné son métier pour l’or.

En trois semaines, il assure avoir gagné « trois fois son ancien salaire de misère ». Combien ? « Plus de 150 000 francs CFA [229 euros] », murmure-t-il. « J’ai entendu parler d’Eseka pour la première fois après l’accident de train du 21 octobre 2016. Je ne savais pas que cette terre était si riche », s’étonne Youssouf.

Les loyers ont flambé

Le gramme de métal précieux vaut 21 500 francs CFA, et certains en ont déjà récolté plus de 30 g. C’est le cas d’Issa Konda, marié à trois femmes et père de dix enfants. Cet homme de 41 ans au sourire contagieux est chercheur d’or depuis vingt ans. Il se déplace au gré des découvertes : du Nord, sa région natale, aux chantiers de l’Est, exploités en grande majorité par les Chinois.

« J’ai gagné des millions. J’ai une maison, j’envoie mes enfants à l’école. J’ai plus de 35 chèvres, des moutons et des bœufs », s’enorgueillit-il. L’or se vend sur place, à des « collecteurs venus de partout ».

Les orpailleurs ne sont pas les seuls à s’enrichir. De petits commerces fleurissent partout : vente de bottes, de cuvettes, de pelles, de machettes. Les conducteurs de motos-taxis ont triplé leur recette journalière. Les loyers ont flambé. Les auberges affichent complet.

Les cantinières sont de plus en plus nombreuses. Leur chiffre d’affaires journalier oscille entre 10 000 et 25 000 francs CFA. « Avant, je vendais des cacahuètes et je gagnais 6 000 francs CFA par semaine. Grâce aux repas, j’en gagne 20 000 par jour », précise Awa, 29 ans, débordée par les commandes. Certaines se déplacent jusqu’aux sites d’orpaillage pour proposer soda et thé et gagner quelques francs supplémentaires.

« Trop de gens arrivent »

« L’or a changé Eseka, mais rien n’est encore organisé. Et la communauté ne prélève aucune taxe », regrette Alfred Frédéric Lingom, président des patriarches de l’arrondissement.

L’exploitation se déroule sans réglementation. Chaque propriétaire d’un terrain « riche » le découpe en petites parcelles qu’il loue, pour une somme forfaitaire de 40 000 à 60 000 francs CFA, aux chefs de chantier. Ceux-ci recrutent entre quatre et sept orpailleurs, payés à la tâche. D’après les riverains, la main-d’œuvre arrive chaque jour par cars entiers.

Une affluence qui génère aussi une nouvelle insécurité. En une semaine, sept motos ont été dérobées, ainsi que du bétail. « Au moins deux jeunes femmes ont été violées. Trop de gens arrivent et personne ne sait qui ils sont. On ne sait pas si les pièces d’identité qu’ils présentent sont authentiques », s’inquiète Alfred Frédéric Lingom.

Depuis novembre 2017, l’activité économique de la ville d’Eseka a bondi grâce à l’afflux d’orpailleurs venus de tout le Cameroun pour tenter leur chance. / Josiane Kouagheu

Dans les écoles, des salles de classe se vident. Au lycée bilingue d’Eseka, qui accueille près de 800 élèves, le surveillant général, Elie Bogmis, multiplie à longueur de journée les messages de sensibilisation.

« Plus de quinze élèves sont déclarés absents chaque jour. Il y a tellement de mines que l’offre d’emplois explose, soupire-t-il. Un élève qui peut gagner 2 000 francs CFA par jour se dit que l’école n’est pas importante. » Pour lui comme pour de nombreux parents, il faut interdire aux mineurs l’accès des chantiers.

S’organiser en coopératives

Selon Joseph Dalambert Minka, délégué des mines, de l’industrie et du développement technologique pour le département du Nyong-et-Kellé, sept sites d’exploitation de l’or ont été répertoriés à Eseka. L’ingénieur précise que des « sondages approfondis » sont nécessaires pour disposer d’une estimation exacte du gisement. Mais avant, insiste-t-il, les exploitants artisanaux doivent s’organiser en coopératives pour être facilement identifiables.

Le 31 octobre, le préfet, Peter Tieh Nde, avait signé un arrêté interdisant l’exploitation et appelant les orpailleurs à se constituer en groupement d’initiative commune (GIC) ou en entreprise artisanale. Plus d’un mois plus tard, rien n’a changé. « Ernest Ngwaboubou, le ministre des mines, a fixé un délai de rigueur, qui se termine le 31 décembre. Passé ce délai, aucune exploitation non autorisée ne sera tolérée », avertit Joseph Dalambert Minka.