Le président de la FIFA, Gianni Infantino, le 1er décembre, avec Vladimir Poutine. | GRIGORY DUKOR / REUTERS

« Trop d’argent nuit au football, trop d’argent tue le football. Il faut éviter que le football ne s’autodétruise. » C’est ainsi que la députée luxembourgeoise Anne Brasseur a introduit son rapport sur la « bonne gouvernance dans le football », réalisé au nom de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Dans ledit rapport, auquel Le Monde a eu accès, Mme Brasseur énumère d’abord la litanie de scandales de corruption qui mine, depuis plusieurs années, la Fédération internationale de football (FIFA).

Ancienne présidente de l’APCE (2014-2016), la parlementaire s’attarde sur le mode de gouvernance au sein de l’institution, dirigée depuis février 2016 par le Suisse Gianni Infantino, ancien-numéro 2 du président de l’Union des associations européennes de football (UEFA), Michel Platini (2007-2015). Si elle salue, sur le papier, la « séparation claire entre la fonction stratégique et (celle) exécutive / de management », assurée par la secrétaire générale, la Sénégalaise Fatma Samoura, la députée estime que le « contrôle exercé par le président sur l’ensemble des activités de la FIFA, y compris les fonctions de management, semble au moins aussi fort que sous le leadership précédent », incarné par Sepp Blatter, aux commandes de l’instance de 1998 à 2015.

Le 16 octobre, la rapporteuse a rencontré Gianni Infantino et l’état-major de la FIFA durant trois heures, au siège de l’organisation, à Zurich. « Il est un fait aussi que, pendant trois heures de réunion, c’est bien M. Infantino qui a piloté l’exercice ; il m’est donc impossible de croire qu’il ne soit pas aux commandes en ce qui concerne aussi bien le macro- que le micro-management », raconte Mme Brasseur. Cette dernière rappelle « le nombre élevé de personnes démis de leurs fonctions depuis l’élection de M. Infantino. »

« La position prééminente du président » de la FIFA

Par ailleurs, elle pointe l’exception que constitue le zélé Marco Villiger, ancien directeur juridique et homme de confiance de Sepp Blatter et de son secrétaire général français, Jérôme Valcke. Unique survivant de « l’ancien système », M. Villiger est devenu l’interlocuteur privilégié de la justice américaine depuis le fameux coup de filet anticorruption du 27 mai 2015, à l’hôtel Baur au Lac de Zurich. Promu en 2016 secrétaire général adjoint de la FIFA, le juriste suisse serait, selon plusieurs sources contactées par Le Monde, celui qui a mis le parquet suisse (MPC) sur la voie du fameux paiement « déloyal » (selon le MPC) de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) fait, en 2011, par Sepp Blatter à Michel Platini. Après cette « fuite », les deux dirigeants ont été suspendus plusieurs années par le comité d’éthique de la FIFA.

« Je crois que la position prééminente du président ( Gianni Infantino) et son emprise sur les questions (notamment) de management restent une des composantes clés de la culture de gouvernance de la FIFA, écrit Anne Brasseur. Il en est ainsi depuis des dizaines d’années et il serait naïf de croire que cela pourrait changer à cause d’une nouvelle disposition proclamant un modus operandi différent. »

Une « dépendance accrue » des organes de contrôle

La députée « constate que les présidents des quatre principaux organes de contrôle de la FIFA ont été remplacés en moins d’un an. » Elle rappelle la démission du patron de la commission d’audit et de conformité, le Suisse Domenico Scala, en mai 2016, en marge du 66ème congrès de la FIFA, à Mexico. Ce départ faisait suite au vote d’un amendement qui permettait, pendant un an, au « Conseil » (gouvernement) de la Fédération de nommer et destituer les membres des organes dits indépendants de contrôle.

En mai, lors du 67ème congrès de la FIFA, à Bahreïn, le Portugais Miguel Maduro a perdu son poste de patron du comité de gouvernance. En place depuis huit mois, il s’était distingué, en mars, en déclarant « inéligible » le Russe Vitali Moutko, vice-premier ministre de Vladimir Poutine, patron de la Fédération russe de football et du comité d’organisation de la Coupe du monde 2018. Ce dernier n’avait ainsi pu se présenter pour un énième mandat au Conseil de la FIFA.

Hasn-Joachim Eckert et Cornel Borbély, en mai, à Bahreîn. | Rob Harris / AP

A Bahreïn, Cornel Borbély et Hans-Joachim Eckert, coprésidents du comité d’éthique, ont aussi vu leur mandat non-renouvelé par les dirigeants de la Fédération. Alors que leur action a « conduit à des sanctions lourdes pour 70 personnalités officielles », comme le mentionne le « rapport Brasseur », ils ont été respectivement remplacés par la Colombienne Maria Claudia Rojas et par le Grec Vassilios Skouris. « J’y vois un mauvais signal, considère Anne Brasseur. La façon de procéder ne peut pas être raisonnablement considérée comme une rotation normale aux postes clés et le sentiment général est, malheureusement, que le Conseil de la FIFA, et M. Infantino en particulier, voulaient se débarrasser des personnes qui risquaient de les gêner. »

La députée émet clairement des réserves sur le « profil » de Mme Rojas, ancienne présidente du Conseil d’Etat et juge à la Cour constitutionnelle de Colombie. « La charge de Présidente de la Chambre d’instruction de la Commission d’éthique demande une expérience dans le domaine des investigations criminelles et notamment financières, que Mme Rojas n’a pas ; elle n’a pas le profil de ’procureur’, ce qui était clairement le cas des deux prédécesseurs, MM. Garcia et Borbély. L’absence de connaissances des langues française et anglaise constitue également un handicap majeur, développe la rapporteuse.(...) Il s’agit aussi – et c’est bien plus problématique – d’une dépendance accrue qu’elle a par rapport au secrétariat qui l’assiste et d’une difficulté objective à entrer en contact de manière confidentielle avec des témoins ou experts. »

L’attribution du Mondial 2022 au Qatar « entachée de graves irrégularités » 

Mme Brasseur s’étonne qu’il n’y ait eu « aucune rencontre » entre MM. Borbély et Eckert et leurs successeurs. D’autant, qu’en juin, Mme Rojas a indiqué que M. Infantino ne faisait l’objet d’aucune enquête préliminaire du comité d’éthique, démentant les informations du Guardian. Selon le journal britannique, le président de la FIFA était ciblé par son « tribunal interne  » pour avoir dépassé ses frais de campagne, en 2016, et pour être intervenu, en mars, dans les élections à la Confédération africaine de football.

« Cela ne veut pas dire que M. Infantino soit responsable mais simplement que la déclaration de Mme Rojas n’a peut-être pas été faite en pleine connaissance de cause », conclut Anne Brasseur.

Le 4 décembre, la commission la Culture, de la Science, de l’éducation et des medias de l’APCE a appelé les autorités de l’Union européenne, « en concertation avec le Comité international olympique, la FIFA, l’UEFA et le Conseil de l’Europe, à promouvoir la mise en place d’un observatoire indépendant chargé d’évaluer la gouvernance des organismes de football, en mettant l’accent sur l’éthique et l’intégrité des élections ». « Ceci ne conférerait pas à cet observatoire le pouvoir de gouverner le sport, mais « de veiller à ce que les principes de bonne gouvernance soient effectivement appliqués et partagés », a précisé l’APCE.

Le projet de résolution adopté à l’unanimité par ladite commission « invite aussi la FIFA à agir rapidement et à faire toute la lumière sur les dernières procédures d’attribution de la Coupe du monde et notamment la procédure concernant la Coupe du monde 2022 au Qatar, qui semble être entachée de graves irrégularités ». Le rapport d’Anne Brasseur fera l’objet d’un débat, le 24 janvier 2018, lors de la session de l’APCE.