Marine Le Pen à Nanterre, le 8 décembre 2017. La présidente du Front national est mise en examen depuis juin 2017 dans l’affaire des assistants parlementaires européens. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

L’étau se resserre encore un peu plus autour du Front national (FN) dans l’affaire des assistants parlementaires européens. Après sa présidente, Marine Le Pen, le parti a été mis en examen le 30 novembre en tant que personne morale, pour complicité et recel d’abus de confiance. La justice soupçonne le FN d’avoir organisé un système sophistiqué pour financer ses activités politiques sur les fonds du Parlement européen normalement réservés à la rémunération des collaborateurs parlementaires.

  • De quoi s’agit-il ?

Les députés européens Front national emploient, comme le leur permettent les règles européennes, une soixantaine d’assistants parlementaires pour les aider dans leur mandat depuis leur élection en 2014. Ceux-ci sont directement payés par le Parlement, dans la limite d’une enveloppe globale d’environ 24 000 euros par député.

En 2015, les instances dirigeantes du Parlement ont émis des doutes sur la réalité du travail de 29 de ces assistants parlementaires : occupant par ailleurs des postes stratégiques au sein du FN ou directement auprès de Marine Le Pen, ceux-ci ne seraient embauchés à l’Assemblée européenne que pour en percevoir les indemnités, en travaillant pour le FN plutôt que sur les dossiers européens. Certains assistants « accrédités », contractuellement tenus de vivre à Bruxelles, mettraient même très rarement les pieds dans la capitale belge.

Pourtant, les règles européennes sont claires :

« Seuls peuvent être pris en charge les frais correspondant à l’assistance nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés (…). Ces dépenses ne peuvent en aucun cas couvrir des frais liés à la sphère privée des députés. »

Si les allégations étaient confirmées, il s’agirait donc d’emplois fictifs financés par le contribuable européen – pour un préjudice évalué à au moins 5 millions d’euros, étalé sur plusieurs années (2012-2017).

  • Où en est l’affaire ?

Saisi par les instances du Parlement en mars 2015, l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) a mené l’enquête pendant plusieurs mois, en interrogeant les assistants soupçonnés et en examinant leurs agendas. Il a par exemple établi que l’une de ses assistantes bruxelloises de Marine Le Pen, Catherine Griset, n’avait jamais eu de bail à Bruxelles en cinq ans et que ses apparitions au Parlement étaient rarissimes ; ou qu’un autre de ses assistants, Thierry Légier, occupait en parallèle la fonction de garde du corps.

En juin 2016, l’OLAF a demandé à six eurodéputés (ex-)frontistes de rembourser les salaires de leurs « assistants fictifs » (Marine et Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch, Mylène Troszczynski, Sophie Montel et Dominique Bilde).

Faute de s’être acquittée avant le 31 janvier 2017 des 300 000 euros qui lui étaient réclamés, Mme Le Pen a vu ses indemnités d’eurodéputée largement ponctionnées pour rembourser la somme (à laquelle se sont ajoutés 40 000 euros supplémentaires pour Thierry Légier). Mais cette ponction a cessé avec son mandat d’eurodéputée, en juin 2017. Elle continue en revanche à s’appliquer pour les cinq autres élus (ex-)frontistes concernés par la même mesure. Mais il s’agit uniquement d’une sanction administrative, qui relève du fonctionnement interne l’assemblée européenne.

Le parquet de Paris soupçonne une « escroquerie en bande organisée »

Un deuxième volet de l’affaire, judiciaire celui-là, s’est ouvert en France en décembre 2016. Saisi par le Parlement européen, le parquet de Paris a ouvert une instruction judiciaire en décembre 2016. Il soupçonne une « escroquerie en bande organisée » pouvant s’assimiler à du financement illégal de parti politique. Des accusations niées par les principaux mis en cause.

Lors d’une perquisition au siège du FN, les enquêteurs ont saisi plusieurs documents laissant à penser que le système « frauduleux » était pensé en haut lieu depuis 2012, et connu de Marine Le Pen.

Depuis plusieurs mois, les magistrats français ont interrogé de nombreux responsables frontistes. Ils ont notamment mis en examen Marine Le Pen en juin pour « abus de confiance » et « complicité d’abus de confiance », quand celle-ci a finalement accepté de se rendre à leur convocation à l’issue des campagnes électorales de 2017.

  • Comment le FN se défend

Marine Le Pen a dénoncé une persécution politique orchestrée par l’ancien président (social-démocrate) du Parlement européen Martin Schulz, avec la complicité de Manuel Valls, qui était encore premier ministre.

Elle a contre-attaqué en déposant en janvier 2017 une plainte pour « faux intellectuel » pour dénoncer une supposée collusion entre l’OLAF et le secrétaire général du Parlement européen, auteur du signalement.

Son avocat a également sous-entendu que le fait d’employer des assistants parlementaires pour effectuer un travail partisan était monnaie courante au Parlement européen, en citant les cas des socialistes espagnols ou des conservateurs polonais.

Plus globalement, l’ensemble des députés FN incriminés dénoncent le fait de devoir rembourser une somme sur la seule base d’une enquête administrative de l’OLAF, sans même avoir été jugés par la justice. C’est pourtant une procédure tout à fait classique : l’utilisation indue des indemnités fait partie du domaine de compétence de l’OLAF, qui a le pouvoir de recouvrer les sommes indues.

Louis Aliot, le vice-président du FN, combat de son côté l’enquête française en arguant qu’en « se mêlant des relations entre un député et ses collaborateurs », l’autorité judiciaire viole des « principes constitutionnels précis ». Il a déposé un recours dans ce sens pour bloquer l’enquête.

  • D’autres partis soupçonnés

Le FN et ses élus n’ont pas le monopole des soupçons en ce qui concerne la réalité du travail de leurs assistants parlementaires. Elle-même visée par l’enquête, l’eurodéputée ex-frontiste Sophie Montel a dénoncé ces derniers mois plusieurs de ses homologues pour des pratiques supposément similaires. Cela a entraîné l’ouverture d’une enquête préliminaire de la justice française sur 19 élus issus notamment des bancs de la droite (Brice Hortefeux, Michèle Alliot-Marie, Jérôme Lavrilleux, Marc Joulaud), du centre (Marielle de Sarnez, Jean Arthuis), de la gauche (Jean-Luc Mélenchon, Patrick Le Hyaric, Edouard Martin) et des écologistes (Yannick Jadot). Aucune décision n’a encore été prise par la justice sur ces cas.

La justice française a également ouvert en juin une enquête spécifique sur le MoDem, qui doit s’attacher à vérifier si les assistants des six eurodéputés du parti de François Bayrou n’ont pas été détachés illégalement au service du mouvement centriste.